Maroc-Espagne: l’impossible réconciliation?

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ChroniqueJusqu’à quand devrions-nous tolérer les crises existentielles du voisin espagnol? Un début de réponse réside peut-être dans le mot «voisin» lui-même.

Le 17/03/2022 à 11h01

Les relations entre le Maroc et l’Espagne ont connu une relative accalmie ces derniers mois, après la tempête diplomatique qui a secoué les relations diplomatiques entre nos deux pays, suite à la provocation inacceptable de Madrid avec l’affaire «Brahim Ghali».

Certes, Arancha González Laya, l’ancienne ministre espagnole des affaires étrangères a été sacrifiée par Madrid dans la perspective d’un apaisement diplomatique. Mais cela semble loin de suffire. Car bien qu’ayant une part majeure de responsabilité dans cette crise, Arancha Gonzalez a semblé devoir jouer le rôle peu envieux de bouc émissaire, comme pour mieux cacher l’implication plus profonde de l’appareil d’Etat espagnol dans cette crise. Puisqu’il est évident qu’une provocation de cette ampleur, puise ses racines au-delà des enceintes du «Palacio de Santa Cruz».

L’implication des renseignements espagnols n’est pas à démontrer ainsi que la connivence, voire l’implication, de certains responsables autant sécuritaires que politiques de haut rang.

Mais par-delà la question des instigateurs, c’est le logiciel politique espagnol qui semble le plus à même de nous permettre de comprendre la récurrence durant les dernières décennies de ce type de provocation. Car l’Espagne n’en est pas à son premier essai. Souvenons-nous de la crise autour de l’îlot de Leïla (îlot du persil) en 2002, mais aussi de l’hostilité latente et souvent active de Madrid, que le gouvernement soit de gauche ou de droite, vis-à-vis de l’intégrité territoriale du Maroc. Une hostilité exprimée autant diplomatiquement que médiatiquement à travers une guerre de désinformation permanente.

Plus récemment, un évènement, passé relativement inaperçu, mérite qu’on s’y attarde un peu.

VOX, le parti d’extrême droite espagnol qui vient récemment d’intégrer le gouvernement régional de la région de Castille-et-Léon, a présenté il y a plusieurs mois devant la Commission de défense du Congrès, une proposition de loi visant à placer Sebta et Melilla sous la protection de l’OTAN. Certains diront qu’il ne s’agit que d’un parti politique marginal, qu’il ne faut pas prendre au sérieux, et que de toute manière le Sénat espagnol a refusé cette proposition.

Selon la loi de Murphy «tout ce qui est susceptible d'aller mal ira mal». Car depuis quelques années, ce petit parti n’a cessé de grandir en intégrant dans un premier temps le parlement régional andalou, aujourd’hui le gouvernement régional de Castille-et-Léon. Aujourd’hui, c’est la troisième force politique en Espagne. Et demain elle risque très probablement d’intégrer le gouvernement espagnol si la droite classique venait à battre la gauche lors des prochaines législatives, prévues en 2023. Car VOX n’est pas seul. Il est implicitement et des fois explicitement soutenu par le Parti Populaire (PP), la deuxième force politique du pays.

VOX dit tout haut ce que le PP pense tout bas. Il est évident que dans ce scénario, les ministères sur lesquels lorgne ce parti d’extrême droite ne sont autres que celui de la Défense et des Affaires étrangères. La droitisation de la scène politique espagnole est en marche.

Mais par-delà la dialectique politique gauche/droite, le dénominateur commun de l’imaginaire politique espagnol demeure une profonde angoisse relative à l’unité même du pays.

Car au niveau du front intérieur, les velléités indépendantistes des Catalans autant que des Basques, et dans une moindre mesure des Andalous, ont toujours exprimé l’extrême fragilité du sentiment d’unité espagnole et de l'appartenance identitaire à une nation. Une identité qui telle que narrée par le roman national, est née dans la conflictualité, à travers une «reconquista» qui remonte à il y a plus de cinq siècles, mais qui continue de structurer en profondeur l’imaginaire espagnol. C’est ce qu’on pourrait qualifier d’identité négative. Non pas au sens moral, mais au sens où elle a intrinsèquement et en permanence besoin d’un front extérieur pour taire les contradictions internes. L’Espagne est de ce point de vue née d’une longue dynamique d’agrégation de différentes couronnes face un ennemi commun, les maures. Or, cela ne suffit pas pour décréter une nation. A titre anecdotique, l’hymne espagnol, qui est censé caractériser un socle commun et profond, n’a pas de paroles officielles. Ce qui ne peut donc être chanté côté espagnol est régulièrement crié contre le Maroc.

Dans cette perspective, le Maroc tel que fantasmé par Madrid sert de faire-valoir à ce sentiment fragile d’unité. Mais jusqu’à quand devrions-nous tolérer les crises existentielles du voisin espagnol? Un début de réponse réside peut-être dans le mot «voisin» lui-même. Car la géographie étant ce qu’elle est, plus le poids économique et géostratégique du Maroc dans la région augmentera, plus l’Espagne sera amenée à trouver ailleurs des projections pour ses tourments intérieurs.

Par Rachid Achachi
Le 17/03/2022 à 11h01