Les États-Unis, un empire fatigué

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ChroniqueEcartelés sur plusieurs fronts (Ukraine, Chine, Afrique, etc.) aujourd’hui, les Etats-Unis peinent à maintenir leur statut d’Hegemon jusqu’à faire craindre à leur alliés européens le pire.

Le 03/02/2022 à 11h02

L’implosion du bloc communiste au tout des débuts des années 1990, augurait pour bon nombre de politiques, d’experts et de philosophes occidentaux l’avènement d’une ère nouvelle. Celle du triomphe définitif des valeurs occidentales sur le reste du monde. L’économie de marché et les droits de l’homme devaient non seulement s’ériger en horizon indépassable pour toutes les nations, mais constituer la destinée commune de toute l’humanité dans le cadre d’une mondialisation présentée comme irréversible. Une «Pax Americana» que le philosophe et politologue américain Francis Fukuyama qualifiera de «fin de l’histoire».

Ce moment unipolaire unique dans l’histoire exhuma un concept qui remonte aux années 1970, celui de la «stabilité hégémonique». L’idée est que l’hégémonie quasi-absolue d’un seul pôle géopolitique, devait de par sa prééminence dans tous les secteurs (militaire, économique, idéologique, etc.) devenir un facteur de stabilité mondiale. On parlait des Etats-Unis au début des années 1990 comme étant les «gendarmes du monde».

Cependant comme tout empire, l’Amérique a besoin en permanence d’un ennemi externe pour des raisons de cohésion interne, en vue d’évacuer toutes les fractures internes et latentes héritées de leur histoire ancienne et récente. Une manière de maintenir une union sacrée autour des valeurs libérales, dont les Etats-Unis seraient les garants, mais cette fois à une échelle planétaire.

L’ennemi qui se doit être crédible et mondial, quitte à l’inventer, dans un contexte où aucune nation ne pouvait prétendre ne serait-ce que remettre en cause cette nouvelle hégémonie américaine. Ce fut le «terrorisme» dit islamique, qui suite aux attentats du 11 septembre 2001, donna lieu à un déchaînement de violences à travers deux guerres, celles d’Afghanistan (2001) et d’Irak (2003). La dialectique se mit en place à travers la désignation de deux axes dans une perspective manichéenne, l’axe du Bien, incarnée par le monde occidental, et l’axe du Mal, incarné autant par une nébuleuse déterritorialisée (Al-Qaida) que par des Etats vus comme des résidus de la guerre froide (Irak, Corée du Nord, etc.).

Une rhétorique binaire qui se déploiera au détriment du droit international, à travers une guerre illégale menée par Washington et ses alliés contre l’Irak.

Cet élan guerrier qui profita non aux Américains mais au complexe militaro-industriel, ne pourra empêcher les contradictions internes de refaire surface.

La crise financière de 2007-2008 fut de ce point de vue révélatrice de maux profonds.

On découvre à ce moment une Amérique fragile économiquement, malgré son premier PIB mondial: une dette publique astronomique, un système financer totalement décorrelé de l’économie réelle, une désindustrialisation avancée, des inégalités criantes, une dépendance commerciale vis-à-vis de la Chine et un dollar, cette monnaie impériale, totalement dépendant des cours du pétrole.

Une crise systémique qui se révèle sur fond de paupérisation des classes moyennes américaines. On découvre aussi que 40 millions d’Américains vivent avec des bons alimentaires, les «food stamp» et que l’espérance de vie commence à reculer au niveau de la classe moyenne. Une première pour un pays développé.

Des contradictions et divisions internes, longtemps tues par une croissance économique illusoire durant les années 2000, ont brutalement refait surface.

Premièrement, la fracture entre une Amérique profonde en voie de paupérisation et une Amérique des élites permit l’avènement du Trumpisme, présenté comme un rejet d’un Establishement, dont les ambitions se font au détriment de l’Amérique elle-même et de la démocratie. L’expression «Deep state» refait surface et le peuple américain se polarise non plus sur une base simplement politique (Démocrates/Républicains) mais sur une base civilisationnelle (Cosmopolitisme des élites Vs. Patriotisme et enracinement de l’Amérique profonde). Et suite à un fait divers tragique, le mouvement «Black lives matter» a ajouté une fracture ethnique, qui est venue se juxtaposer à toutes les autres divisions.

Rappelons que les Etats-Unis ne furent pas toujours aussi unis, et qu’un historique de guerre civile continue de hanter les esprits entre le Sud et le Nord.

La constitution américaine garantit le droit du port d’armes, et le nombre de ces dernières est supérieur au nombre d’habitants. La combinaison de tous ces facteurs font des Etats-Unis une poudrière qui peut imploser sous la forme d’une nouvelle guerre civile à tout moment.

Au niveau géopolitique, comme on l’a vu ces dernières années, les Etats-Unis ont entamé, malgré une rhétorique toujours martiale, un retrait stratégique sur plusieurs fronts: retrait des troupes US d’Irak puis de manière humiliante d’Afghanistan, incapacité à provoquer un changement de régime au Vénézuela ou encore en Syrie suite à l’intervention russe, quasi-impuissance face à l’annexion de la Crimée par Moscou, volonté de renouer le dialogue avec l’Iran puis plus récemment avec la Corée du Nord.

Ecartelés sur plusieurs fronts (Ukraine, Chine, Afrique, etc.) aujourd’hui, les Etats-Unis peinent à maintenir leur statut d’Hegemon jusqu’à faire craindre à leur alliés européens le pire.

Le déclin de l’empire semble de plus en plus irrémédiable, et un début de multipolarité commence à se former timidement.

Quoiqu’il en soit, à moins d’une guerre civile dans les années à venir, les Etats-Unis demeureront une grande puissance pour un bon bout temps. Peut-être même la première puissance dans les deux décennies à venir. La première peut-être, mais plus la seule. La prétention éphémère des années 1990 à l’hégémonie mondiale semble désormais révolue, cédant la place à un monde de plus en plus complexe.

Mais là où certains voient dans notre époque un début de transition hégémonique de Washington vers Pékin, il me semble plus pertinent d’y voir l’anachronisme même du concept «hégémonie politique», au profit d’une résurgence de la logique des zones d’influences, dans le cadre d’une multipolarité dénuée pour l’instant de fond idéologique.

L’écrivaine Françoise Parturier écrivit que «le XXe siècle est la peau de chagrin de l'homme occidental qui aura vu rétrécir son empire terrestre et familial au rythme de ses désirs d'universalité». En sera-t-il de même au XXIe? Comme toujours, l’histoire aura son dernier mot. Une histoire qui demeure toujours ouverte, pour le meilleur et pour le pire.

Par Rachid Achachi
Le 03/02/2022 à 11h02