Si le calendrier politique national est centré aujourd’hui sur les élections –surtout le scrutin simultané du 8 septembre relatif aux communales, régionales et de la Chambre des représentants– il vaut aussi d’appréhender la politique étrangère. L’hypothèse à privilégier à cet égard est, entre autres, celle-ci: la relation entre le dedans et le dehors.
Il faut rappeler, pour commencer, que le Maroc se situe dans la catégorie des pays dits à revenu intermédiaire. Un PIB de l’ordre de 120 milliards de dollars (62e), une superficie de 710.000 km2 et, une population de 37 millions d’habitants (40e): voilà à grands traits la fiche globale. Il faut y ajouter une situation géostratégique particulière liée au carrefour de trois mondes (européen, arabe et africain) et d'un océan et d'une mer (Atlantique et Méditerranée) sans oublier la rive sud du détroit de Gibraltar. La conjonction de ces facteurs est évidement significative. Mais elle ne suffit pas pour autant à expliquer la présence et l’influence du Royaume à l’international.
Au lendemain de l’indépendance, et durant son règne, feu Mohammed V s’était déjà distingué à cet égard, tant au sein du Mouvement des non-alignés qu’au plan continental. L’on citera en particulier que c’est à Casablanca qu’a été créé le groupe éponyme de l’Afrique progressiste formé du Maroc, de l’Egypte, du Ghana, du Mali et de la Guinée par des dirigeants prestigieux (Mohammed V, Nasser, Nkrumah, Modibo Keita et Sékou Touré). L’Afrique modérée, elle, allait se regrouper au sein du groupe de Monrovia avec le Nigéria, le Sénégal, Cameroun et d’autres pays francophones. Le défunt sultan avait une magistrature morale, bien entendu, mais aussi militante par la suite de son exil forcé et de son engagement à la tête du mouvement national jusqu’à l’indépendance.
Le flambeau a été repris par feu Hassan II tout au long de ses trente huit ans de règne. Le Maroc au total, s’est affirmé à l’international. Son rôle s’est accentué lors de multiples circonstances. Une déclinaison qui s’est illustrée sur de grandes questions régionales et internationales: Moyen-Orient, cause palestinienne, Al Qods, monde islamique, Afrique, etc. Elle a été également marquée par des relations privilégiées avec le monde occidental en particulier les Etats-Unis et l’Union européenne, le Maroc ayant été pionnier dans le domaine des accords d’association avec cette entité.
En accédant au Trône, voici vingt deux ans, Mohammed VI avait tout cet héritage-là. Il lui a fallu tenir compte, depuis, des mutations du système international qui ont remis en cause l’«ordre» qui prévalait auparavant: multipolarité au profit de la Chine et de l’Asie du Sud-est, le terrorisme, la mondialisation et la globalisation… Et c’est dans cette perspective qu’il a priorisé les chantiers de réformes internes, considérant en effet que c’était là le meilleur vecteur de soutien d’une politique étrangère à redéployer. La diversification de celle-ci a été menée à marche forcée sous toutes les latitudes. Avec certains pays où des relations étaient traditionnellement étroites, les liens ont été renforcés: Etats-Unis, France, Espagne. Avec d’autres, des partenariats privilégiés sinon féconds sont été établis (Russie, Chine,), sans oublier les pays du Golfe.
Mais c’est évidement en direction du continent que la diplomatie royale a été la plus «activiste». Le Souverain y a effectué pas moins d’une cinquantaine de visites. Cette politique a été approfondie et élargie avec l’Afrique francophone mais également avec l’Afrique anglophone et lusophone. Elle s’est fondée sur une doctrine formulée dans le discours historique d’Abidjan (avril 2014) sur la coopération Sud-Sud: l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique. Un hymne à la responsabilité et à la confiance dans les potentialités. Une pleine citoyenneté. Et à la dignité des Africains assumant leur destin. La dimension économique de cette approche marocaine a grandement porté ses fruits et elle est l’une des inflexions importantes de cette approche de Rabat. Ainsi, le Maroc est désormais le premier investisseur en Afrique de l’Ouest (banques, télécommunication, immobilier,…). Ailleurs, le groupe OCP est l’un des vecteurs d’une diplomatie des phosphates et des engrais pour le plus grand profit des agriculteurs.
Au plan politique, le repositionnement a conduit au retour au sein de la famille institutionnelle qu’est l’UA, en janvier 2017. Il faut y ajouter la demande d’adhésion à la CEDEAO, un mois plus tard, suivie par la signature de l’Accord de la Zone de Libre-Echange (ZLECA), entré en vigueur le 1er janvier 2021. Et puis, ce qui n’est pas le moins notable: le soutien majoritaire africain à la marocanité du Sahara –la prétendue «RASD» a ainsi perdu de dizaines de reconnaissance. Celle-ci est réduite aujourd’hui à 18 membres de l’UA dont deux gelées d’ailleurs– sur les 54 membres de l’organisation continentale.
Comment ne pas mettre en exergue la conception qu’a le Souverain de son rôle pour défendre ce que le général De Gaulle appelait «l’essentiel national». Le statut que lui confère la Constitution en est le premier fondement, assurément. Chef d’Etat, Roi, la loi suprême lui confie des attributions propres de garant de l’unité nationale, de l’indépendance et de la souveraineté du royaume. Mais il est également Amir Al Mouminine, un cahier des charges relevant du khalifat dans le droit public musulman: défenseur de la foi, protecteur des croyants, sauvegarde également de la souveraineté et du territoire national, «Dar Al Islam» pour reprendre une expression historique. La mobilisation du peuple marocain autour du Roi en responsabilité –Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI– est la traduction la plus emblématique et la plus authentique de cette conception. Ce fut la libération du Royaume, puis son unification et aujourd’hui la question nationale des provinces sahariennes récupérées.
Il s’agit là des intérêts supérieurs: autant de «lignes rouges» où la détermination royale est inflexible. La précédente décennie témoigne de prises de position et de décisions courageuses: dans les relations avec l’ONU (Ban Ki-moon alors secrétaire général puis son envoyé personnel au Sahara Christopher Ross en 2012); dans celles avec l’administration Obama en avril 2013 à propos du projet d’extension du mandat de la Minurso; ces derniers mois avec l’Allemagne et l’Espagne– et tant d’autres occurrences. Sur les épaules de Mohammed VI pèse ainsi une ardente obligation dans un monde tourmenté et convulsif: celle de préserver et d’exercer l’autonomie de décision du Royaume au service de l’indépendance nationale et de l’intégrité territoriale.
Dans cette perspective affirmée dès le début du règne, il s’agit de conforter, de consolider et d’élargir l’influence et le rayonnement du Maroc. La diplomatie mise en œuvre et mobilisée dans cette ligne-là n’et pas figée. Elle se fonde sur des constantes de paix, de coopération, de stabilité et de bon voisinage. Mais elle n’ignore pas les changements continus dans le monde aujourd’hui: environnement, changement climatique, lutte antiterroriste... Elle se distingue ainsi par le primat du dialogue et le cas échéant de la négociation. En décembre dernier, la décision courageuse de la reprise de relations avec l’Etat hébreu a été une nouvelle séquence d’une diplomatie qui ne sacrifie en rien la solidarité et le soutien total à la cause palestinienne ainsi qu’à la préservation du statut historique d’Al Qods Acharif, dont le Roi est d’ailleurs le président du comité ad hoc.
Au total, une crédibilité. Un leadership personnel, et politique. Un statut qui ne se décrète pas: il est le résultat d’une capitalisation. Celle-ci est nourrie, de surcroît, par le Maroc des chantiers et des réformes marqués du sceau d’une vision: celle d’un projet moderniste, démocratique et solidaire.