Depuis quatre ans, un cadre de négociation a été mis sur pied avec un format de tables rondes de quatre parties (Maroc, Algérie, Mauritanie et le mouvement séparatiste). Le nouvel émissaire personnel du Secrétaire général de l'ONU, le diplomate italo-suédois Staffan de Mistura, se voit mandaté -et soutenu- pour relancer le processus sur ces mêmes bases.
Il s'agit de conduire à une solution politique inscrite dans «la durée, dans un esprit de réalisme et de compromis». Le référentiel est l'Initiative marocaine en date du 11 avril 2007 déposée au Conseil de sécurité et qui depuis quinze ans continue d'être qualifiée par cette même haute instance onusienne de «sérieuse, crédible et réaliste». Elle est -et reste- prééminente et s'inscrit dans le cadre de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Royaume.
Cette même résolution introduit des éléments nouveaux. Elle précise ainsi la nécessité et l'importance que «toutes les parties concernées développent leurs positions afin de faire avancer une solution»; elle ajoute encore que l'émissaire onusien doit «prendre en compte les acquis de son prédécesseur» (les paramètres précités de la négociation); elle appelle à la levée de toutes les multiples entraves imputées au «Polisario» dans l'accomplissement normal de la mission de la Minurso; enfin, elle repose de manière plus marquée la question du recensement des réfugiés dans les camps de Tindouf. Dans ses précédentes résolutions, le Conseil avait retenu une formulation plus nuancée: en 2020, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) avait été prié de continuer à suivre ce dossier.
Cette rédaction a fait l'objet d'un léger amendement en 2021 en demandant à nouveau que l'enregistrement des réfugiés «soit envisagé» et «qu'il convient de déployer des efforts à ce sujet». Mais avec la nouvelle résolution 2654, la teneur est plus forte: elle se situe dans une ligne d'opérationnalisation de cette opération. Il est ainsi demandé «à nouveau instamment que les réfugiés soient dument enregistrés» et qu'il importe que «toutes les mesures nécessaires soient prises à cette fin».
Mais pourquoi en est-on encore là en 2022? A quoi tient cette problématique du blocage de fait d'un recensement fiable et crédible des populations réfugiées de Tindouf? Depuis 1975, le Maroc a posé ce problème devant toutes les instances pertinentes des Nations-Unies.
L'Algérie et le «Polisario» avancent des chiffres inexacts, variables d'ailleurs, d'année en année. Or, cette opération d'immatriculation est exigée par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés qui définit le terme «réfugié» et personnes déracinées, ainsi que les obligations juridiques des Etats pour assurer leur protection.
Elle a été adoptée le 28 juillet 1951 et elle est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle établit des normes essentielles minimales pour le traitement des réfugiés; elle doit être appliquée sans discrimination par rapport à la race, la religion ou le pays d'origine du réfugié. Elle prévoit des dispositions relatives à l'obtention des documents qui leur sont nécessaires, y compris un titre de voyage qui se présente sous la forme d'un passeport.
C'est le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) qui s’est vu convier cette mission. Le Maroc a adhéré à cette Convention le 7 novembre 1956, l'Algérie le 21 février 1963 (enregistrée auprès du secrétaire général de l'ONU le 21 février 1963) et la Mauritanie le 5 mai 1987.
Depuis une vingtaine d'années, les prises de position de la communauté internationale ne manquent pas. Telles des résolutions de recommandations de l'Assemblée générale des Nations-Unies (58/49 du 22 décembre 2003 et 59/172 du 20 décembre 2004) qui demandent et réaffirment que «l'enregistrement et le recensement sont des préalables à l'exercice du mandat du Haut-commissariat aux réfugiés qui consiste à prodiguer l'aide humanitaire nécessaire aux populations dans le besoin».
Dans cette même ligne, il faut citer la Résolution du parlement européen du 30 mars 2015: «selon un rapport d'enquête du HCR des Nations-Unies, l'absence d'enregistrement d'une population de réfugiés pendant une période aussi prolongée) près de trente ans après leur arrivée) constitue une situation anormale et unique dans les annales du HCR des Nations-Unies».
A quoi tient donc cette obstruction d'Alger? Il faut la déconstruire et, partant, la mettre à nu, et ce, à deux niveaux. Le premier a trait à la surestimation des populations réfugiées pour l'instrumentaliser auprès des donateurs et des organisations internationales humanitaires. Jusqu'à présent, les agences humanitaires (Programme alimentaire mondial -PAM et autres) assurent la distribution mensuelle de 125.000 bons alimentaires.
Voici déjà cinq ans, dans son rapport au Conseil de sécurité au Conseil de sécurité sur la question du Sahara marocain, en octobre 2018, Antonio Guterres, avait donné ce chiffre. Il s'agit d'une estimation des populations. Le 28 septembre de cette même année, le HCR avait publié un communiqué réaffirmant de son côté que ses propres estimations de «90.000 personnes seront maintenues jusqu'à ce que l'exercice d'un enregistrement soit conduit en bonne et due forme».
A un second niveau, il faut faire référence à la nature et à la portée du recensement sur le déroulé et le processus de la question nationale. Plusieurs précisions sont utiles à cet égard. La première base de référence est le recensement officiel de 1974, alors que le Sahara occidental se trouvait encore sous administration espagnole. Madrid avait, à cette date, fourni aux Nations-Unies un chiffre officiel: celui de 73.497 Sahraouis résidant dans ce territoire (S/1997/166-27/02/1997).
Que valent ces données? Elles supportent deux critiques: la première, c'est que ce chiffre est sous-estimé dans la mesure où ces données ne prennent en effet pas en compte les dizaines de milliers de Sahraouis réfugiés dans les provinces du Nord du Maroc, c'est à dire ceux qui avaient fui les répressions liées à l'opération aéroterrestre franco-espagnole Ecouvillon, lancée en février 1958 à des fins de «pacification». Le but en était de «démanteler» la résistance marocaine. L'on a compté des centaines de morts marocains. L'opération prit fin le 25 février 1958, et des milliers de Sahraouis fuirent la répression. Le recensement espagnol de 1974 est, par ailleurs, sous-estimé et sujet à caution, en ce sens qu'il a inclus des milliers de nomades de pays voisins (de Mauritanie, du Mali, des Touaregs du sud algérien etc.).
A la fin 1975, du 14 au 20 décembre 1975, le HCR a donné le chiffre de 20.000 personnes, à la suite d'une estimation des autorités d'Alger. Mais en même temps, les rédacteurs de ce rapport ont considéré que ce chiffre était excessif et n’ont retenu qu'une fourchette de données, comprise entre 10.000 et 12.000, au plus.
Il faut aussi noter que selon des informations internes du «Polisario», datant de mai 1975, ces personnes n'étaient que de 7.000... Le HCR revient sur cette question dans un rapport confidentiel de mai 2005 (INQ/04/005) dressant une chronologie depuis 1975. Se basant sur des données du Croissant Rouge et des officiels d'Alger, il donne dans l’ordre: 20.000 personnes (décembre 1975), 60.000 (janvier 1976), -dont 20.000 en Algérie et 40.000 personnes déplacées, 45.000 (mars 1976), 50.000 (novembre 1976), 150.000 (février 1982), 155.000 en 2000, 158.000 en 2004. A cette date, l'Algérie, elle, a toujours invoqué le chiffre de 165.000 réfugiés dans les camps de Tindouf!
Le mouvement séparatiste s'est distingué par des chiffres encore plus fantaisistes dans les années quatre-vingt: 200.000 et même 300.000! Des ONG acquises à sa mauvaise cause ont même avancé le chiffre de... 700.000 réfugiés!
Comment ne pas le reconnaître? L'Algérie manipule grossièrement les chiffres. Elle double les chiffres donnés par le «Polisario»; la différence est frappante entre les reçus de distribution des aides alimentaires et ce qui est réellement distribué. Au cours de l'été 1997, le HCR avait entrepris une grande opération de préenregistrement des réfugiés pouvant être rapatriés dans la perspective de leur éventuelle participation au référendum prévu alors par le plan de Règlement.
Dans un rapport de mai 2000 (paragraphe 21), le secrétaire général de l'ONU a précisé qu’«à ce jour, le nombre total de réfugiés (représentant 18.751 familles), y compris les nombres de leur famille immédiate, préenregistrés depuis le début des opérations en août 1997 à l'aide des listes provisoires des personnes admises à voter établies par la MINURSO, est de 119.698». (S/2000/461.)
Quant à la Commission d'identification prévue dans les paragraphes 24 à 27 du Plan de Règlement (S/213 /60), elle avait retenu en janvier 2000, 86.412 personnes sahraouies, soit 2.161 de plus par rapport à la liste provisoire de juillet 1999, admises à voter au référendum (rapport S/2001/148 du 20/02/2001). Il faut également ajouter que sur les 86.412 personnes identifiées par l'ONU -et donc pouvant prendre au vote référendaire- cette Commission n'a finalement retenu que 37.005 personnes «sahraouies» dans les camps de Tindouf, les 46.000 autres personnes se trouvant dans le territoire marocain. A noter encore que ces mêmes 46.000 personnes avaient récusé 11.886 personnes dans la liste provisoire et ce, dans le cadre de la procédure de recours contre l'inclusion de non-Sahraouis. Si l'ONU avait pu mener à bien l'opération de vérification des recours présentés, l'on serait arrivé à quelque 25.000 à 30.000 Sahraouis admissibles au vote référendaire. Un chiffre qui n'a rien à voir avec les 119.698 personnes préenregistrées par le HCR.
Si l'on veut davantage affiner ces données, pour mieux démonter encore la propagande de l’Algérie et du mouvement séparatiste, un autre indicateur est pertinent et opératoire: celui des mesures de confiance (CBM) mises en œuvre jusqu'à leur suspension, le 26 mars 2011. Sur les 27.000 bénéficiaires de celles-ci enregistrées en 2008, le HCR a retenu l'inscription de 18.869 personnes (2869 familles) dans les camps de réfugiés de Tindouf, désireuses de se rendre au Sahara marocain, contre seulement 8.200 personnes (1.625 familles) résidant dans le Royaume.
Il s'ensuit que pratiquement 70% des réfugiés souhaitent partir des camps, contre seulement 30% dans le sens inverse. Globalement, la population dans les camps est de l'ordre de 90.000 personnes. Mais les Sahraouis authentiques, originaires du territoire marocain, ne dépassent pas les 40.000 personnes. Sur cette problématique qui perdure, l'Algérie est dans le déni. Une situation accablante pour elle.