Un grand chantier, assurément! Le Maroc s'est engagé dans une stratégie à long terme avec la réarticulation institutionnelle autour de 12 régions. Cela pose la problématique d'un développement territorial optimal. Et dans cette perspective, il faut faire une place à l'intelligence économique et stratégique. Ne pas «continuer pour continuer», comme par le passé, mais identifier de nouvelles voies pour renforcer l'efficience des politiques publiques, la compétitivité des entreprises aussi, tout en veillant à promouvoir les potentialités locales et régionales. En résumé, ceci: anticiper et agir et ne plus se borner à gérer.
L'intelligence économique est précieuse à cet égard: elle aide à prendre davantage conscience de la spécificité des territoires –de leurs besoins comme de leurs aspirations. Dans ce domaine, il faut le dire tout net: il n'existe pas de modèle unique dans chaque région ni dans chaque ville. Chacune de ces collectivités est différente de l'autre; de quoi justifier donc un dispositif spécifique. Mais qu'en est-il au vrai? De grands groupes nationaux, publics ou privés, ont mis sur pied depuis des années des cellules de veille pour apporter des réponses à des préoccupations particulières: baliser un périmètre de sécurité économique, renforcer la compétitivité, accompagner dans le développement international, identifier les risques informationnels. Au niveau des collectivités territoriales, il faut bien relever que celles-ci n'ont pas beaucoup avancé dans l'opérationnalisation de l'intelligence économique: tant s'en faut. Cela tient à la place réduite sinon marginale de ce domaine dans les politiques publiques nationales; mais c'est également lié au profil des élus locaux et régionaux peu ouverts à cet égard, davantage préoccupés par des tâches de «gestion».
Il y a bien, ici et là, des avancées, notamment avec des conventions entre les régions et les universités, comme récemment à Casablanca. Mais il reste tant à faire: conquête de positions internationales dans des secteurs nouveaux, appréhension de marchés émergents, coopération avec des acteurs locaux...
Un axe qui pose cette question: comment assurer et optimiser le basculement de l’intelligence économique vers l'intelligence territoriale? Une préoccupation qui doit permettre d'assurer une meilleure compétitivité des territoires. Quels dispositifs de cette veille territoriale, tant endogène qu'exogène pour reformuler de manière anticipative des stratégies territoriales? Parler d’intelligence économique en la matière, c'est mettre sur pied un dispositif de gestion de l'information, permettant ainsi au collectif territorial d'assurer des performances. Comment? En identifiant de nouveaux axes de développements ou de nouvelles actions économiques ou sociales à mener. Cela suppose la construction d'un système opérationnel d'intelligence territoriale – une programmation et un système d'information mobilisant différents acteurs.
Au fond, c'est une ingénierie territoriale qu'il faut appréhender; elle doit être en relations avec un territoire et mettre l'accent sur les processus de participation, d'apprentissage et de management. En d'autres termes, ceci: un nouveau modèle de gestion d'un territoire. Cette notion n'a connu un essor, par touches successives, que depuis une quinzaine d'années à peine. C'est un processus informationnel, régulier et continu, initié par des acteurs locaux attachés à transformer l'énergie du système territorial avec ses ressources humaines et économiques en capacité de projet. Elle est un partenariat entre les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises.
Comment peut-on le décliner? Sur la base d'un ensemble d'actions à entreprendre et à conduire dans plusieurs domaines. La vigilance avec la mise en place d'un dispositif territorial de veille anticipative. Le diagnostic des ressources propres du territoire, de ses atouts et de ses insuffisances. La coordination des politiques publiques sur la base d'une politique coordonnée entre les représentants de l'Etat au sein du territoire et les différents niveaux de collectivités territoriales afin de valoriser des richesses et en particulier l'innovation. Les partenariats public- privé dans des secteurs: recherche fondamentale et appliquée, formation, pôles de compétitivité, zones industrielles, technopôle... Les connaissances et l'innovation avec des dispositifs d'échanges entre les acteurs privés (maillage des acteurs, innovation organisationnelle, technologique, commerciale). L'influence et l'image avec un dispositif d'influence et de valorisation de la marque du territoire au niveau national et aussi international. Tout cela doit avoir pour objectif d'opérer et de conforter une fertilisation croisée des compétences et des investissements entre entreprises, réseaux d'entreprises, centres de recherche et de formation, collectivités territoriales, services de l'Etat.
L'intelligence territoriale se décline en différentes dimensions. L'une est collective en tant que processus ne devant pas être limité à certains acteurs; elle doit être également porteuse d'espoir, malgré les contraintes de temps et de ressources. L'autre est transformatrice, pas inscrite donc dans une perspective linéaire ou déterministe; interactionniste aussi, pourrait-on dire: agir sur les comportements des citoyens ainsi que sur les activités socioéconomiques des collectivités. Il faut encore mentionner une dimension de valorisation des territoires et de leurs dynamismes. Ce qui pose, entre autres, le problème de la capacité des acteurs locaux à construire une vision commune de leur futur. Ce qui est en cause, par ailleurs, n'est-ce pas au final le développement territorial? Une économie locale à réussir. Elle doit se distinguer des logiques de coordination du marché et de la régulation étatique et introduire un troisième mode de coordination entre les acteurs du territoire– il est complémentaire aux deux autres dans sa contribution au développement.
La vision marocaine est connue et consacrée: faire, du territoire –de la région en particulier– un lieu d'articulation des dimensions économiques, sociales et environnementales; un lieu s'apparentant à un «patriotisme» décentralisé; un lieu aussi d'un «vivre ensemble» des acteurs publics, privés et associatifs interagissant au quotidien, avec de nouvelles régulations multi-acteurs. La région ne doit plus être seulement considérée comme une entité administrative et institutionnelle mais comme un système d'acteurs en relations –un espace de coopération à l'intérieur des réseaux qui s'étendent à l'échelle nationale.
A n'en pas douter, la coopération et la coordination des acteurs est nécessaire: ce sont là des facteurs clés de succès de la gestion de la région. Les acteurs impliqués sont territoriaux, sociaux et économiques. Mais comment les mettre en réseau? Une approche systémique est à prioriser. Les acteurs sont liés: ils partagent un même territoire avec des approches complémentaires. A noter enfin que l'intelligence territoire ne saurait minorer les enjeux d'un développement territorial durable: des allers-retours sont nécessaires entre la recherche et l'action. Ce qui renvoie à une autre équation: celle de l'intelligence territoriale et du nouveau management public (NMP). C’est en effet cette notion de NMP qui doit se retrouver dans les territoires devant être préoccupés par l'attractivité et la performance –comme l'administration de l'Etat central... Réussir un développement territorial harmonieux? Oui, sans doute, mais en impliquant les acteurs avec un dispositif adossé à une approche interdisciplinaire et couplée à une réflexion opérationnelle. Le peut-on? Et le veut-on?