En 1870, la France fut vaincue par la Prusse et cette défaite provoqua l’effondrement de l’Empire. Ce bouleversement politique fut accueilli dans la joie chez les Européens d’Algérie qui se mirent à croire qu’ils allaient désormais pouvoir s’affranchir du régime militaire et établir leur propre régime civil. Ils rallièrent donc avec enthousiasme les nouvelles autorités de Tours afin d’en finir avec ce qu’ils appelaient «le régime du sabre».
Fin octobre 1870, ils créèrent des communes insurrectionnelles et des «comités républicains» à Alger, Oran, Constantine, Philippeville et Bône. Le 30 octobre, Alger passa sous le contrôle d’un avocat, Romuald Vuillermoz, déporté républicain de 1848 qui s’autodésigna «Commissaire civil extraordinaire par intérim», qui proclama le régime civil et exigea la suppression des Bureaux arabes.
Ces révolutionnaires furent écoutés par le Gouvernement provisoire qui confia l’Algérie au Garde des Sceaux, Adolphe Isaac Crémieux, lequel fit adopter les décrets qui portent son nom et se fit élire député d’Alger au mois d’octobre 1871. Or, Crémieux avait été étroitement conseillé par Mgr Lavigerie, qui reprochait aux Bureaux arabes et au régime militaire de trop protéger les indigènes et donc de freiner la colonisation de l’Algérie.
C’est à l’intention de Crémieux et de Gambetta que le prélat écrivit un document peu connu intitulé «Notes sur l’Algérie». Dans ce texte révolutionnaire, daté du 1er décembre 1870 et qui fut rédigé à Tours où se trouvait alors le gouvernement provisoire, le fondateur de l’ordre des Missionnaires d’Afrique, les Pères Blancs, annonce la politique qui sera appliquée en Algérie durant plus de deux décennies. Il y prend le contre-pied de la politique algérienne suivie jusque-là par les militaires, par les Bureaux arabes et par l’Empereur Napoléon III. Sans la moindre ambiguïté, il demande la spoliation des Algériens et l’introduction d’une administration directe de type jacobin.
La République adopta largement les vues de Mgr Lavigerie dont les effets furent ravageurs.
Investi des pleins pouvoirs, Crémieux promulgua 58 décrets en moins de cinq mois. Son but était de couler l’Algérie dans le moule républicain français et de la soumettre au même régime que les départements de la métropole, ayant des préfets à leur tête et une représentation au Parlement.
Les décrets du 24 octobre 1870 plaçaient ainsi l’Algérie sous l’autorité d’un Gouverneur général civil dépendant du ministère de l’Intérieur et naturalisaient les Juifs d’Algérie, faisant d’eux des citoyens français de plein exercice à la différence des musulmans qui étaient des sujets de la République.
Crémieux fit un véritable procès en sorcellerie aux Bureaux arabes, les accusant de «politique antinationale» pour s’être opposés à l’extension de la colonisation terrienne. Par le décret du 24 décembre 1870, le corps fut décapité, le Bureau politique et les subdivisions supprimés. Il fut ensuite vidé de sa substance par le décret du 1er janvier 1871 qui le transforma en Bureau des Affaires Indigènes et le cantonna aux Territoires du Sud, là où le colonat était inexistant.
Le régime civil républicain succéda donc au régime militaire. Son jacobinisme, le mépris qu’il afficha pour les populations indigènes, son laïcisme qui fit passer ses représentants pour des mécréants aux yeux des musulmans, exercèrent des ravages et provoquèrent un traumatisme que l’Algérie française ne surmonta jamais.