La question de fond sur laquelle bute le Système algérien est celle de l’identité du pays: est-elle arabo-islamique ou berbère et arabo-islamique? Cette question se pose parce que l’Algérie étant une jeune nation créée par le colonisateur français, tout tourne autour de la question identitaire. Une fois encore, la différence avec le Maroc est totale. Ici, nous sommes en effet en présence d’un vieil Etat dans lequel Berbères et Arabes sont historiquement et politiquement fondus dans le même creuset national et où des dynasties arabes, berbères et arabes se succédèrent à partir du VIIIe siècle (Idrissides, Almoravides, Almohades, Mérinides, Wattassides, Saadiens et Alaouites).
Dès l’indépendance de 1962, les dirigeants algériens considérèrent le fait Berbère comme un danger politique et l’Amazigh comme une menace d’affaiblissement de la nation à construire. Voilà pourquoi, au mois d'août 1962, un mois donc après l’indépendance, le gouvernement algérien supprima la chaire de kabyle de l’université d’Alger. Cette mesure symbolique annonçait l’orientation qu’il comptait donner au pays, la légitimité du régime s’ancrant sur la négation de son histoire et de sa composition ethnique.
La revendication berbère fut ensuite présentée par les dirigeants algériens comme une conspiration séparatiste dirigée contre l’islam et la langue arabe. Comme les berbéristes refusaient le dogme fondateur de l’Algérie arabe et musulmane, comme l’amazighité affirmait la double composante du pays, arabe et berbère, le parti FLN parla de dérive «ethnique», «raciste» et «xénophobe» menaçant de détruire l’Etat.
Les Kabyles et les Chaoui, qui avaient mené la guerre contre la France, se retrouvaient ainsi citoyens d’une Algérie algérienne arabo-musulmane niant leur identité. Puis, le colonel Boumédiène ayant pris le pouvoir à la suite du coup d’Etat de 1965, la politique d’arabisation devint systématique.
En 1988, l’ouverture démocratique donna une forte impulsion à la revendication berbériste avec la création du MCB (Mouvement culturel berbère). Mais, parallèlement, pour tenter de freiner la montée du courant islamiste, les autorités donnèrent des gages à ce dernier en renforçant encore l’orientation arabo-musulmane de l’Algérie. C’est ainsi que la Constitution du 23 février 1989 dans son article 2 déclare que l’islam est la religion d’Etat et dans son article 3 que l’arabe est langue nationale et officielle. Puis, au mois de juillet 1989, une loi fut votée qui interdit la formation de partis politiques sur des bases linguistiques. Enfin, devant le danger qui se précisait, fut votée la loi du 16 janvier 1991 qui renforça encore davantage l’exclusivisme de la langue arabe, de fortes amendes étant prévues pour les contrevenants.
En 1998, de très violentes émeutes suivirent l’assassinat du chanteur Matoub Lounès. A partir de là, le climat devint insurrectionnel. Au mois d’avril 2001, de violentes émeutes secouèrent la Kabylie à la suite de la mort d’un lycéen prénommé Massinissa en référence au grand chef berbère. Puis, peu à peu le voile de la fausse histoire enseignée depuis 1962 se déchira et les Berbères découvrirent ce qui se murmurait, à savoir qu’ils étaient les «dindons de la farce» de l’indépendance algérienne. Certains affirmèrent même qu'ils avaient subi une nouvelle colonisation dès le départ des Français.
Les souvenirs de l’éviction des Berbères par les tenants de la ligne de l’arabo-islam resurgirent alors avec une grande intensité comme l’a montré à l’époque la polémique qui suivit la parution du livre que Saïd Sadi consacra à Amirouche. La thèse du livre est en effet au cœur de la problématique et même du contentieux arabo-berbère: le colonel Amirouche, chef emblématique du maquis kabyle et de la Willaya III qui fut tué dans une embuscade, aurait été donné aux Français par ses rivaux arabes du MALG (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales, le service de renseignement de l’ALN), notamment Abdelhafid Boussouf et Houari Boumediène qui auraient ainsi écarté un dangereux concurrent. Constituant le cœur du Système au pouvoir en Algérie, les héritiers de ses assassins, auraient ensuite littéralement effacé sa mémoire du panthéon national algérien afin d’éviter qu’un culte patriotique lui soit rendu.