La saison des certificats médicaux de virginité reprend!

Famille Naamane

ChroniqueHakda ykounou, bnate rjale mahdhyate, hakda ykounou, bnate hamrate chachiyate (ainsi sont les filles surveillées par les hommes, les filles au bonnet rouge). Une des chansons qui célèbrent l’exhibition du drap taché du sang de dakhla (nuit de noces).

Le 29/07/2022 à 10h59

L’intérêt porté à la virginité commence avec la notion de propriété: l’homme devait s’assurer que ses enfants étaient bien les siens puisqu’ils devenaient héritiers. D’où un contrôle sévère du corps féminin.

Il y a 5 000 ans, dans le pourtour méditerranéen, la première civilisation sumérienne considérait la défloration d’une célibataire comme une atteinte au droit du père et du futur époux. Le coupable était puni de mort (Code d’Hammourabi, Art. 130).

Les filles étaient mariées encore enfants puisque l’honneur des hommes est lié à l’hymen et ce, à ce jour.

Les Pharaons ont imposé l’excision et l’infibulation pour amputer les filles du plaisir sexuel. Une barbarie toujours pratiquée dans des pays arabes et africains, dont l’Egypte, par des femmes, sans anesthésie. L’excision est l’ablation totale ou partielle du clitoris. L’infibulation consiste à coudre l’entrée du vagin pour la rouvrir, sauvagement, la nuit de noces.

Le Judaïsme condamne la mariée non vierge. Elle est lapidée, devant la maison de son père, jusqu’à la mort. Le Christianisme impose la virginité. Jusqu’au 20ème siècle, des pays européens (Espagne, Italie, Grèce…) exposaient le linge dans les balcons.

L’Islam sublime la virginité et interdit la sexualité hors mariage.

Dans de nombreux pays arabes, le crime d’honneur est toléré. Pas au Maroc. La mariée peut être chassée, tabassée ou s’enfuir, de peur de la violence des pères, des frères et des oncles.

Des femmes contrôlent les hymens. Hier encore, en Egypte, il y avait une cérémonie, dakhla baladi: une matrone introduit son doigt dans le vagin sous le regard de témoins dont le mari. Ces matrones existent dans toutes les sociétés qui tiennent à la virginité. Elles contrôlent aussi l’authenticité du sang. Un sang différent des autres: il est rose et ne s’écaille pas quand il sèche. Après des années de recherche, j’ai compris pourquoi. Le sang de la défloration est mélangé au sperme. Sa couleur s’éclaircit et il sèche différemment! Quand une mariée ou un couple livre un drap taché d’un sang autre que celui de l’hymen, on remarque la différence lorsqu’il sèche.

Le certificat médical de virginité a pris la relève, mais les méthodes traditionnelles persistent.

La virginité est liée à l’honneur de la famille. La défloration est liée à la virilité du marié.

Il faut alors brutaliser la bête pour la saigner. Les termes utilisés en arabe dialectal l’expriment: fargha’ha (explosée), htak-ha (trouée)…

On recommande au mari de plaquer au sol la mariée pour la pénétrer brutalement. Des pratiques en diminution, mais pas dans les campagnes et les villages. Les urgences des hôpitaux reçoivent des mariées saignant par des vagins déchirés. Même à Casablanca! Une violence non dénoncée aux autorités par les médecins puisqu’elle s’exerce dans le cadre légitime du mariage! La guérison peut être longue et douloureuse, surtout au rural où la mariée est soignée par des recettes traditionnelles. 

En été, saison des mariages, les médecins délivrent des dizaines de certificats de virginité par jour.

Près du quart des filles naissent sans hymen ou si fin qu’il se déchire sans saigner. 

Certains hymens sont élastiques et remontent lors de la défloration au lieu de se déchirer. Parfois l’hymen est trop épais. On dit que la fille est safha.

Le mari doit prouver sa virilité. S’il n’assume pas, la mariée est violentée. Des femmes mettent leur tête entre ses cuisses pour contrôler.

Une matrone la déflore avec son pouce ou une bougie. Sinon c’est le médecin.

Les médecins sont consultés pour montrer l’hymen à la belle-mère, la belle-sœur, au mari.

Un médecin: «j’ai reçu la mariée, son mari et sa belle-sœur. Ils m’ont présenté un drap, me demandant d’y ajouter un peu plus de sang car les gens jasent»!

La famille demande souvent au médecin si la mariée a été déjà travaillée car elle n’a pas assez saignée!

Quelle humiliation!

Le médecin, tenu par le secret professionnel, n’a pas le droit de laisser des personnes mettre leur nez dans le vagin d’une femme.

Plus de 90% des hommes marocains tiennent à la virginité, alors qu’ils arrivent au mariage avec une expérience sexuelle dont il se vantent.

La défloration, un fantasme masculin! C’est aussi pour leurs mères, disent-ils.

Elles les éduquent à avoir une sexualité intense avec des filles, mais ils doivent épouser des vierges de bonnes familles et non ces prostituées!

La réfection des hymens, une autre hypocrisie, est courante: à partir de 800 DH chez le médecin.

Sinon, deux articles chinois:100 DH ou 400 DH! L’herboriste propose des produits qui rétrécissent le vagin. 

En 2007, un haut dignitaire religieux égyptien, Mohammad Hussein Fadlallah, décédé en 2010, a proclamé une fatwa (autorisation religieuse) pour la réfection de l’hymen. Elle a été appuyée par la plus haute autorité de Dar al-Ifta, Ali Gomaa, selon le principe religieux de satr (dissimuler les péchés pour préserver la réputation). Une fille peut se repentir (attawab) et se faire recoudre sans en parler au mari. L’élite universitaire et théologique d’Al-Azhar a approuvé cette fatwa et encouragé les médecins à procéder à cette intervention.

Si le drap était exposé publiquement, il devient discret: juste au salon ou la chambre nuptiale pour être vu par la famille du mari. Beaucoup de jeunes hommes refusent cette exhibition, mais elle reste courante.

Que d’énergie, que de drames pour une goutte de sang! L’honneur est-il réellement dans cette partie du corps féminin?

Je ne fais pas l’apologie de la défloration avant le mariage. J’analyse les paradoxes et je veux juste qu’on m’explique selon quelle logique, dans les sociétés musulmanes, la valeur d’une célibataire est sa virginité et celle d’un célibataire est sa virilité, alors que l’interdit religieux sexuel s’applique aux deux!

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 29/07/2022 à 10h59