Une jeune mère me dit, en parlant de sa fille de 7 ans: «on va changer de voiture. La petite refuse qu’on la dépose à la porte de l’école parce que ses camarades y vont dans de grandes voitures. On est endetté, mais ma fille doit être à l’aise pour étudier». J’ai demandé: «vous lui avez dit que vous n’en avez pas les moyens et que ce sera pour plus tard? Vous lui avez expliqué ce qu’est un crédit, un salaire, un budget?».
Elle m’a regardée comme si j’étais une martienne: «tu ne connais pas les enfants d’aujourd’hui. Ils friment. Un jour, ma fille est revenue de l’école en pleurant. Une fille lui a dit: «ton père n'a même pas de voiture convenable!». Elle en est traumatisée».
Non, c’est moi la traumatisée!
De tels parents deviennent nombreux, à travers le monde. Ils élèvent des enfants-rois!
Le culte de l’enfant n’existait pas dans notre société. L’enfant mangeait après les adultes, n’avait pas le droit de donner son avis ni de parler en présence des grands. Du jour au lendemain, les parents ont basculé vers l’extrême: l’enfant-roi.
L’enfant-roi est un tyran, égoïste, égocentrique, qui veut tout et tout de suite. Un comportement dû aux parents qui cèdent sur tous les caprices. Lafchouche, lakhnate, dsarate…
L’éducation chez nous était basée sur la violence verbale et physique.
Aujourd’hui, les parents sont tolérants, communicatifs. C’est bien, mais attention à l’excès!
Avant, un enfant ne pouvait pas poser de questions. Aujourd’hui, les parents argumentent, expliquent, dialoguent, ce qui permet à l’enfant de s’épanouir.
Mais la vie moderne pousse les parents au laxisme.
L’enfant occupe une place centrale dans la famille: on le traite comme un adulte, on le survalorise, le surprotège, lui fait des compliments sur tout. C’est bien pour son auto-estime, mais attention à ne pas en faire un adulte narcissique, «nombriliste» ou centré sur lui-même, incapable de vivre ou de travailler en société.
Les parents font deux enfants, donc des enfants désirés. De plus, les couples tendent vers l’enfant unique. Salim: «nous avons choisi de faire deux enfants pour les gâter». Les gâter, oui, mais jusqu’à quel point?
Les parents cèdent facilement quand ils manquent de temps pour leurs enfants. Ils disent oui pour ne pas créer de tension et gâcher le peu de temps qu’ils partagent. Ils se mettent alors une pression pour contenter l’enfant-roi. Il refuse de manger? Pas grave, on commande. A 4 ans il refuse de mettre la tenue que maman a sorti? Pas grave, on vide le placard. Il refuse de lâcher la tablette pour dormir? Pas grave, il ne faut pas le frustrer…
L’enfant est toujours à la recherche de plaisir et de la satisfaction de ses besoins. Mais les besoins ont explosé et ce, dans tous les milieux. Les parents essayent de satisfaire tous les besoins de leurs enfants, quel qu’en soit l’impact sur le budget. Ils se projettent dans leurs enfants pour compenser leurs propres frustrations. Waïl: «je me sacrifie pour que mon fils n’ait pas les mêmes privations que j’ai eues».
L’enfant devient un éternel insatisfait. A peine vient-il d’obtenir un jouet qu’il en demande un autre. Avant, les parents amenaient leurs enfants dans les magasins de jouets quand ils en avaient les moyens. Aujourd’hui, avec Internet, les magasins inondent les enfants qui tyrannisent leurs parents.
Le plus désolant est cette concurrence dans les vêtements des enfants. Les grandes marques, authentiques ou contrefaites, rivalisent dans les cours de nombre d’écoles!
Pareille concurrence concerne les smartphones, les tennis, les montres connectées… Même les plus pauvres entrent dans ce jeu pour ne pas marginaliser l’enfant. Les parents alimentent un système où les apparences priment sur toutes les valeurs. La frime devient une valeur, véhiculée par les réseaux sociaux où les jeunes exhibent leur richesse, réelle ou simulée: photos de voitures de luxe, habits, restaurants… Internet soumet les enfants à une influence qui échappe aux parents.
Pensant faire le bonheur de l’enfant, les parents lui achètent sans cesse des jouets, au point qu’il en devient blasé. N’ayant pas l’occasion de s’ennuyer, il ne développe pas assez son imagination.
Angoissés par l’avenir de leurs enfants, les parents veulent leur donner un maximum de chances de réussite et ce, dans tous les milieux, y compris à la campagne.
Surendettés, les parents se privent de tout et n’existent plus pour eux-mêmes. Les parents doivent penser à eux-mêmes, à leur couple qu’il faut consolider en s’offrant des plaisirs à deux pour garder leur bien-être.
Les enfants ont besoin de repères, de houdoudes (des limites) car la vie nous en impose. Elle nous apprend que vouloir n’est pas pouvoir. Pour atteindre nos objectifs, il faut du temps, des stratégies, des efforts, du travail. L’enfant capricieux, élevé sans limites, sera un adulte marginalisé, sans le sens de la réalité ni la valeur de l’argent.
Les parents peuvent dire non en convaincant l’enfant: «je veux bien, mais ça coûte tant et notre budget est de tant. Si je l’achète, je ne pourrais pas te payer l’école… ». Lui parler de priorités. Lui donner une tirelire pour qu’il ramasse le prix de l’objet désiré, lui apprendre à calculer, à négocier… Des techniques et des aptitudes dont l’adulte a besoin pour réussir.
La fille qui refuse que son père soit vu à l’école avec sa voiture doit être convaincue que la valeur d’une personne n’est pas dans ses apparences. Si elle est élevée à être authentique, aucune moquerie ne la touchera. Elle sera une adulte confiante en elle-même. C’est ainsi qu’elle réussira.
Cela dit, une tendre pensée pour les enfants qui sont contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs parents et qui sont confrontés à la plus dure des réalités, privés du luxe des caprices!