Issu d’un mariage ou non, un enfant est un être humain que l’État doit protéger

Famille Naamane

ChroniqueAu Maroc, l’enfant né hors mariage n’est jamais affilié à son père (Art. 148 Code de la Famille).

Le 30/04/2021 à 12h00

Une femme, le regard chargé d’une douleur indescriptible: «j’ai eu une fille à 16 ans. Je l’ai donnée en adoption. 28 ans plus tard, j’ai découvert qu’elle était mariée à son père biologique!». Un drame non exceptionnel. Les associations INSAF et Solidarité Féminine peuvent l’attester.

Si ce père avait été obligé de reconnaître sa fille, il ne l’aurait pas épousée. Impossible, il n’était pas marié à sa mère: «la filiation paternelle découle des rapports conjugaux, de l’aveu du père et des rapports sexuels par erreur». (Art.152). Incroyable, mais vrai: la loi, se basant sur le fiqh, estime qu’un homme peut rentrer chez lui et se jeter sur une femme autre que la sienne, par erreur, et l’engrosser! L’enfant à naître sera légitime! Et la femme, elle se laisse faire? Donc elle a forniqué! J’hallucine!

Si l’enfant est conçu pendant la période des fiançailles traditionnelles (art. 156), il faut en fournir la preuve: photo, vidéo...

Or, les habitudes sont diverses selon les régions et les familles. Les juges sont incapables de les évaluer: doua fiya, hdar fiya, khtabni (il m’a demandée à ma famille), zgharite (youyou), jabe dbiha ( il a ramené un mouton). Rchemni, jabe ach-chouar (il a amené des cadeaux), Al Fatha (lecture de la première sourate du Coran), lamlak... 

Quand c’est le père biologique qui entame la procédure de filiation pour son enfant né pendant les fiançailles, il y arrive facilement. Mais si c’est la mère qui le fait car le fiancé le refuse, c’est la galère.

Pourquoi la mère ne demande-t-elle pas que le fiancé se soumette à un test ADN ?

On pense que c’est possible car c’est LA SOLUTION. La réalité en est loin.

2004, réforme du Code de la Famille. Les hommes étaient furieux: ils pensaient que ce test est une obligation pour déterminer la paternité dans le cadre de relation hors mariage. «C’est injuste, tout homme risque de se faire coller une grossesse». Si c’était le cas, les hommes seraient prudents, se protègeraient et protègeraient leurs partenaires sexuelles.

Le test ADN ne peut s’effectuer que dans le laboratoire de la Gendarmerie Royale à Rabat et celui de la Police Scientifique à Casablanca. La mère de l’enfant doit faire la demande auprès du juge et doit prouver qu’elle a été fiancée de façon traditionnelle. Si le juge accepte, elle paye le test (à partir de 3.000 DH). 

Pire: si une femme enceinte porte plainte contre son partenaire, il est jugé pour fornication ou pour l’avoir déflorée. A sa sortie de prison, la loi ne l’oblige pas à reconnaître son enfant, puisqu’il est illégitime.

S’il n’y a pas eu fiançailles et que la mère dépose plainte au commissariat contre son partenaire pour qu’il reconnaisse l’enfant, elle est transférée chez le procureur. Le couple est jugé pour fornication (art. 490). La loi reconnaît que le partenaire est le père de l’enfant. A sa sortie de prison, il n’a pas d’obligation de reconnaître son enfant car il est illégitime.

Le plus scandaleux? En cas de grossesse après un viol, le test ADN ne sert qu’à prouver l’identité du violeur. A sa sortie de prison, il ne reconnaît pas l’enfant car il est illégitime. Insensé! 

2017, Tanger. Un juge du tribunal de première instance, audacieux, reconnaît, pour la première fois, la filiation parentale à un enfant né hors mariage, à partir d’un test ADN. Mais le jugement a été annulé par la Cour d’appel. La mère a saisi la Cour de cassation, qui vient de refuser sa requête. Un espoir de jurisprudence pulvérisé. Un choc, un traumatisme pour tous les militants de la démocratie et des droits des êtres humains.

La position de l’Etat est en contradiction avec la Convention Internationale des droits de l’enfance et de la Constitution qui stipule que «l’État assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, quel que soit leur statut familial».

Un enfant ne demande pas à naître, ne choisit pas ses parents. C’est un innocent qui doit être protégé comme tout citoyen. L’Etat en fait un sous-citoyen.

Les naissances hors mariage augmentent dans une population dont le tiers est âgée de 15 à 35 ans, un âge de pleine puissance sexuelle. On estime à plus de 100 enfants naturels qui naissent par jour, sans compter les avortements clandestins. L’âge du mariage recule: 26 ans pour les femmes, 32 pour les hommes. L’allongement du célibat favorise la sexualité prémaritale et les grossesses chez une jeunesse sans éducation sexuelle: les filles sont insouciantes et les garçons pensent que la contraception est une affaire de femme. 

Ces enfants seront taxés d’illégaux toute leur vie avec toutes les répercussions sur leur équilibre, alors que leurs pères sont reconnus par la loi. L’Islam condamne sévèrement l’inceste. Priver un enfant de sa filiation paternelle augmente les risques d’inceste !

Une aberration contraire aux préceptes du Coran qui dit, en parlant des enfants adoptés: «appelez ces enfants adoptifs du nom de leurs pères, ce sera plus juste auprès de Dieu. Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, ils sont vos frères en religion. Ils sont des vôtres. » (Al ahzab ; 33 : 5) Oui, ils sont des nôtres et nous les méprisons!

C’est inhumain, inadmissible dans le Maroc du XXIe siècle, de faire fi de l’expertise médicale et de ne pas garantir à tous les enfants l’identité de leur père pour éviter d’en faire des parias.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 30/04/2021 à 12h00