De nombreuses personnes me demandent d’évoquer ce sujet douloureux.
Lorsque plusieurs ménages vivaient sous un même toit, les jeunes prenaient en charge les aînés. Les enfants étaient une garantie-vieillesse.
Les parents avaient beaucoup d’enfants, ce qui n’est plus le cas. Les enfants n’habitent pas toujours la même ville ou le même pays que les parents.
Les horaires stricts de travail et la vie urbaine limitent le temps à accorder à ses parents.
Avant, les enfants assuraient le toit et la nourriture aux parents. Mais aujopurd'hui, les dépenses et les besoins ont explosé, alors qu'autrefois, les soins de santé étaient d’origine naturelle.
Aujourd’hui, la prise en charge des parents est fort coûteuse. Les filles auxquelles revenait cette charge physique sont débordées par les responsabilités familiales et professionnelles.
Si les parents sont malades, c’est la galère!
Souad: «je ne suis pas mariée. Sur qui je vais compter lors de ma vieillesse? Mes sœurs? Elles ne seront pas disponibles!»
Autrefois, les membres de la famille se prenaient mutuellement en charge.
L’effritement involontaire de la solidarité contraint l’Etat à se substituer à la famille. Une mutation qu’ont déjà subie des pays où les séniors (plus de 60 ans) sont pris en charge par l’Etat. Une triste image: des foyers pour personnes âgées, abandonnées, totalement ou partiellement, par les leurs. Des parents qui se sont sacrifiés corps et âme pour leurs enfants et qui meurent dans la pire des solitudes.
Les nantis terminent leur vie dans un cadre confortable. Les démunis bénéficient d’un minimum de confort de la part de l’Etat.
Et chez nous?
Près de 4,3 millions de Marocains ont 60 ans ou plus. Un chiffre en croissance puisque l’espérance de vie augmente (78,3 ans pour les femmes et 75 ans pour les hommes). Les séniors seront plus de 6 millions d’ici 2030 (HCP).
Qui va s’en occuper? La bonne nouvelle c’est que l’Etat est en train de généraliser la couverture sociale. Mais la majorité des retraités n’ont pas de pension ou elle est dérisoire. Ils dépendent de leurs enfants, eux-mêmes dans le besoin. Les ruraux, dans une précarité plus importante, bénéficient de l’aide physique des leurs, mais sont privés de soins de santé.
Le coût des soins pour des personnes dépendantes est exorbitant. Même avec une couverture maladie, les familles dépensent de grands moyens pour compléter les frais. Les démunis ne peuvent faire face aux dépenses. Le malade est abandonné à son sort, sans soins médicaux. Les plus nantis se ruinent dans les cliniques.
Nos vieux vivent dans l’angoisse, la tristesse. Ils souffrent du manque de soins médicaux. Hospitalisés, leur prise en charge par le personnel paramédical est lamentable. Malades à domicile, ils occupent un coin sombre en attendent la délivrance.
Le nombre des aides-soignants et accompagnateurs est bien inférieur à la demande. Les familles aisées engagent des infirmiers travaillant dans le privé ou dans le public: trois personnes qui passent chacune huit heures avec le sénior dépendant. 1 200 DH par jour, 36 000 DH par mois! Parfois la présence est assurée par un infirmier et un aide-soignant: près de 700 DH toutes les 24 heures, 21 000 DH par mois! Sinon, une personne sans qualification assure la présence et la toilette: à partir de 3 000 DH par mois. Combien de Marocains peuvent supporter ces dépenses?
Les équipements sont hors de prix: lit médicalisé, déambulateur, chaise roulante... Les familles peinent à payer même les couches. Il n’est pas rare que des vieux soient abandonnés par leur famille dans les hôpitaux ou dans la rue.
Les difficultés des familles et le délaissement des personnes âgées par les leurs ont fait fleurir des maisons de bienfaisance à travers le pays. Mais la demande est supérieure à l’offre.
Des initiatives louables, mais de grandes faiblesses: parfois, ces lieux accueillent des séniors malades, handicapés, abandonnés par leur famille. Ils hébergent également des enfants en détresse, des filles-mères, des malades mentaux, des veuves sans soutien familial… A la faiblesse des infrastructures et des équipements, s’ajoute l’absence de personnel qualifié: médecin, infirmier, kinésithérapeute…Le personnel s’occupe du ménage et des pensionnaires! Des foyers non spécialisés, des mouroirs, avec de grandes difficultés financières. Quant aux foyers pour personnes âgées, ils assurent juste l’hébergement et la nourriture. Le strict minimum vital.
Des maisons de retraite médicalisées voient le jour. Mais privées, et excessivement chères.
Quelle alternative? L’hôpital? Les conditions de séjour sont exécrables et il n’est sensé prodiguer que des soins et non un hébergement prolongé. Les cliniques? Impossible à long terme, compte tenu des frais.Iwa?
Un dicton marocain dit: «si la chair se putréfie, elle est prise en charge par les siens». Or les nôtres ne sont plus disponibles et ce n’est pas par mauvaise foi.
Que de personnes dépendantes se souhaitent la mort pour soulager les leurs! Hassan, hémiplégique: «j’ai les moyens d’être dans un établissement spécialisé. Je serais mieux soigné, ma famille serait soulagée. Je pourrais revenir chez moi de temps en temps. Je suis une lourde charge. Dieu me délivre».
L’Etat doit développer, en urgence, un système d’assistance humaine et matérielle aux personnes âgées qui résident chez leurs familles et des maisons de retraite médicalisées afin de permettre à ses séniors de partir dans la dignité.