Arrêter la mendicité infantile: une urgence!

Famille Naamane

ChroniqueJ’ai hésité avant de m’attaquer à ce thème, de peur qu’on me taxe de «bourgeoise insensible à la détresse des pauvres». Mais mendicité ne rime pas toujours avec pauvreté!

Le 13/05/2022 à 11h00

Ramadan. Je circulais en voiture avec ma sœur qui habite hors du Maroc. Elle me dit: «les gens sont devenus aimables. Ils nous saluent de la main!». J’éclate de rire: «mais non! Ils te demandent de t’arrêter pour leur donner de l’argent!». Des hommes et des femmes en bonne santé, bien habillés, sans signe de pauvreté!

Nous sommes assaillis par mabrouke la’wachère. Une formule devenue harcèlement quotidien alors qu’elle est liée aux fêtes religieuses!

Oui, les temps sont durs, Allah ykoune fi la’wane (Dieu aide): la pandémie, la guerre en Ukraine… Des raisons conjoncturelles et structurelles. Le chômage, des salaires trop bas d’où un pouvoir d’achat bien inférieur au niveau de vie grimpant. La précarité touche des personnes âgées, des femmes en difficulté, mères célibataires, veuves, divorcées, avec enfants à charge, sans aides sociales. Elle touche des ruraux, victimes de décennies de sécheresse, de faiblesse des équipements d’agriculture modernes et de création d’emploi.

L’exode rural amplifie la mendicité: une jeunesse rurale connectée à Internet, mais déconnectée de la réalité, qui vient chercher la réussite ou la survie dans les villes. Analphabètes ou à peine lettrés, des milliers de jeunes se réfugient dans le commerce informel avec des charrettes, en devenant farracha (sur les trottoirs) ou la mendicité. La sévère sécheresse actuelle va amplifier la mendicité.

Que de familles dans la précarité, mais qui ne tendent pas la main. Il y a des pays très pauvres où la mendicité est une honte!

Dans la rue, on est persécuté. On donne de l’argent pour ne pas être agressé physiquement. L’agression verbale est courante. Dans les carrefours, des hordes encerclent les voitures: l’un cogne la vitre de droite, l’autre à gauche, l’autre sur le pare-brise… Les Subsahariens deviennent très insistants.

Même si tu alloues tous les jours un budget, tu l’épuises à moins d’un km de chez toi. En fin de journée, tu ne peux plus donner de sous, ni acheter de kleenex, ni de texte de coran… Tu as beau, avec politesse, dire Allah ijibe, ils te collent. Des coups de pieds dans la carrosserie, des insultes: oujahe jahanname (visage de l’enfer), tfou, kafra (mécréante)… Surtout quand tu es une femme!

L’espace public devient maltraitance, insécurité... 

La mendicité est organisée par des réseaux qui opèrent en toute impunité. Dans l’un des carrefours que je traverse, Marocains, Subsahariens et Syriens se partagent les horaires. Une organisation parfaite!

Et que d’imagination pour toucher les cœurs: exhibition des infirmités réelles ou simulées, brûlures, opérations chirurgicales, certificats médicaux, boîtes de médicaments, passeports…

Le plus atroce est l’exploitation des enfants par leurs parents ou par des professionnels qui les louent: entre 150 et 250 DH par jour. Lors des fêtes religieuses, les prix flambent. Plus l’enfant est jeune, handicapé, plus il rapporte: entre 300 à 900 DH. Le double ou le tripe du SMIG! En échappant au fisc!

Pourtant la mendicité est interdite: un à trois ans d'emprisonnement pour tout mendiant même invalide (Art. 331 du code pénal). Un à six mois pour qui a les moyens de subsistance ou est en mesure de se les procurer par le travail, ou de tout autre manière licite (Art. 336). La même peine s’applique à ceux qui exploitent les enfants (Art. 328). Pourquoi les pouvoirs publics laissent-ils faire?

Pour avoir produit une étude sur la précarité* et pour avoir travaillé depuis plus de 15 ans avec les sans-abris dans l’association Riad el Amal, et fait une étude sur la question**, j’ai conscience de la difficulté à trouver des solutions pérennes. Mais on peut arrêter l’exploitation infantile. Embarquer tout adulte qui mendie avec un enfant, mener une enquête, donner des avertissements aux parents et en cas de récidives, les déférer à la justice, placer l’enfant en EPS… Accompagner ces mesures d’une campagne médiatique... C’est faisable.

La place d’un enfant est à l’école et dans des lieux de loisirs. Un enfant qui mendie sera un adulte marginalisé, déséquilibré. La rue pousse à la débauche: stupéfiants, prostitution, vols… Des enfants y mendient au-delà de minuit!

Les mosquées et le discours religieux devraient informer sur la sadaqa (aumône), considérée comme un dû, même par ceux qui peuvent travailler. 

Les mendiants! Combien sont-ils, quel est leur profil… Personne ne peut répondre. La seule enquête nationale date de 2007: 196.000 mendiants dont 62% en font un métier. La moitié était des femmes et les 2/3 avaient plus de 40 ans.

Selon des statistiques récentes, recueillies par les ONG, il y aurait au Maroc près de 500.000 mendiants. 7 mendiants sur 10 sont des professionnels!

Selon le Procureur Général du Roi auprès de la cour de Cassation, M. Abdennabaoui, deux tiers des enfants exploités ont moins de 4 ans et 27% ont moins d’un an. Si ces chiffres sont des indicateurs importants, ils restent partiels. Une enquête de grande envergure serait indispensable pour le contrôle de ce fléau.

Un plan national pour la protection des enfants dans la mendicité a été lancé en décembre 2019 dans la région de Rabat et devrait être élargi à tout le Royaume. En attendant, l’Etat doit appliquer la tolérance zéro.

L’Etat et les ONG font un travail important. Les citoyens sont solidaires. Mais il y a très peu de structures d'accueil et peu de personnel qualifié pour héberger les personnes en difficultés. 

Il faudrait cibler la population la plus précaire pour lui octroyer des aides et sévir avec les mendiants professionnels. 

La mendicité ternit l’image du Maroc moderne et dévalorise ses efforts de développement.

*(Avec Chakib Guessous et Jamal Khalil, Les précarités au Maroc, concept et typologie, 2008, Ministère des affaires sociales, Entraide Nationale). 

**(Enfants en situation de rue. Sociologie et accompagnement à la réinsertion, collectif avec Chakib GUESSOUS, ed. MARSAM, 2019). 

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 13/05/2022 à 11h00