A quoi peut bien ressembler la vie d’un jeune musulman en Amérique? Pour avoir la réponse, il faut voir la série «Ramy», dix mini-épisodes, un vrai bol d’oxygène. Elle est disponible sur les plateformes de téléchargement, il suffit de bien chercher. Je vous la conseille vivement.
Notre jeune musulman, d’origine égyptienne, se perd entre ses devoirs religieux et ses élans amoureux. Il doit faire sa prière, faire le ramadan… et faire l’amour quand même. Y compris avec les «kouffars», une juive ou une catho.
Au fin fond du New Jersey, dans le froid et la solitude, traqué par un communautarisme inévitable, montré du doigt parce que «différent» et parce que l’actualité du terrorisme islamiste est sur toutes les lèvres, notre héros devient une patate chaude qui passe de main en main, un problème ambulant.
Quelle est la place de la foi dans tout cela? Que faire de tout cet héritage spirituel et rituel, qui devient un fardeau lourd à porter?
Surtout, qu’est-ce qui compte pour un jeune homme de 20 ans: être un bon musulman ou, plus prosaïquement et selon la formule consacrée, être un «bon coup»?
C’est drôle, c’est à hurler de rire. Dans le même temps, cette série amène à réfléchir sur la place de l’individu, sur ce fameux concept des identités plurielles. Voir ces identités «molles» (en gros, la place de l’autonomie de l’individu broyée par l’identité de la communauté), chères à l’anthropologue marocain Hassan Rachik.
On peut se poser toutes ces questions, très sérieuses, mais en jouant et en riant. En jouissant. En prenant du plaisir.
Cette série prouve qu’il est possible de faire de la télévision, et divertir les gens, sans les prendre pour des idiots. Il est possible aussi, et c’est fort heureux, de parler de cette exception musulmane ou arabe, c'est-à-dire de ce que nous sommes en fait, sans verser dans le manichéisme, le populisme et, pour tout dire, la bêtise.
Sexe et religion, mosquée et bar, la foi la plus sincère et le désir le plus fou. Oui, il est possible de parler de tout cela, de le montrer, d’en rire au besoin, de réfléchir, et surtout de passer un bon moment.
Il y a presque de quoi appeler à un nouveau modèle de production. Qui remettrait le citoyen, pardon le téléspectateur, au cœur de tout, comme une balle que l’on remet au centre du jeu.
«Ramy» représente tout ce que la télévision marocaine ne peut pas faire. Et tout ce qu’elle devra pourtant faire!
Le Maroc dépense des sommes folles, aujourd’hui, pour produire des films, téléfilms, séries, etc. C’est de l’argent public. Mais tout cet effort ne soutient que des projets lisses, uniformisés, bien pensants, impersonnels, qui ne disent pas grand-chose en fin de compte.
Un projet de la qualité de «Ramy» n’a aucune chance de financement au Maroc. Il sera refusé. Ou censuré, charcuté, émasculé. C’est tout le drame d’un pays qui dédie pourtant beaucoup d’argent public au cinéma et à la télévision.
Vite, un nouveau modèle de production pour le Maroc, qui arrête de considérer le public comme une masse d’enfants et d’imbéciles heureux. S’il vous plaît!