Des médias publics miroir de la société

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ChroniqueSi notre pays cherche à s’engager résolument sur la voie de la démocratie représentative, cela passe par des partis politiques forts et indépendants. Forts de leur implantation populaire, et indépendants dans leur prise de décision et dans le choix de leurs leaders.

Le 09/02/2018 à 11h59

«La démocratie repose sur le pluralisme. La communication audiovisuelle est un des principaux vecteurs du pluralisme. Il n’existe donc pas de vraie démocratie sans expression pluraliste dans les médias audiovisuels.» Le grand juriste français Charles Debbasch établit ainsi, dans la préface de Pluralisme et audiovisuel de Philie Marcangelo-Leos, la relation de complémentarité entre démocratie, pluralisme et audiovisuel.

Pour que l’image soit complète, il faudrait ajouter les partis politiques. Car, il ne peut y avoir de démocratie représentative, même en devenir, sans ces acteurs incontournables que les partis politiques. Et ces derniers sont les premiers bénéficiaires de l’expression pluraliste dans les programmes d’information (journaux et magazines) des médias audiovisuels. Nous nous limiterons ici à l’information dans les journaux télévisés (JT) sur les télévisions publiques généralistes Al Oula et 2M parce qu’elles donnent le la pour les autres médias audiovisuels.

Avant la création de la HACA et avant l’adoption de la décision n°46-06 de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle), en septembre 2006, relative à la garantie du pluralisme des courants de pensée et d'opinion dans les médias audiovisuels, aucune règle écrite ne venait réguler l’accès des partis politiques aux médias audiovisuels, si ce n’est l’humeur des décideurs politiques. Et cet accès se faisait au compte-goutte.

Après de longs débats à la HACA, l’approche quantitative fondée sur des quotas et des volumes horaires d’intervention des représentants des partis politiques fut adoptée. Le principe de référence fut celui de l’équité: c’est-à-dire que l’accès aux médias audiovisuels devait se faire en fonction de la représentativité parlementaire des catégories auxquelles appartiennent les partis (la majorité, l’opposition et les partis non représentés au Parlement).

Les quotas fixés étaient les suivants: 60% du temps de parole pour le gouvernement et les partis de la majorité, 30% pour les partis de l’opposition et 10% pour les partis non représentés au Parlement. Le cumul du temps de parole se fait séparément dans les JT et les magazines d’information et pour chaque média audiovisuel. Enfin, le rythme d’appréciation de ces règles est de trois mois dans les JT et de six mois pour les magazines. Cette décision est en vigueur depuis le 1er janvier 2007.

Malgré cette place centrale accordée aux partis politiques, et à part de rarissimes exceptions, les partis figurent, dans les faits et jusqu’à aujourd’hui, en queue de peloton des sujets traités dans les JT, juste avant la culture (sic) et le sport. C’est déjà significatif de l’importance accordée à ces acteurs politiques et à la place que les responsables de ces télévisions supposent être la leur dans le système politique national.

Mais qu’en est-il de l’information relative à ces partis? Elle se réduit à la couverture des réunions de leurs instances dirigeantes (bureaux politiques et conseils nationaux) et dans le meilleur des cas à une couverture superficielle de leurs congrès nationaux. En somme, il s’agit de la vie interne la plus élémentaire des partis politiques. Ce genre d’informations intéresse-t-il le téléspectateur ? Il est légitime d’en douter. Quelle en est la valeur informationnelle? Presque nulle.

Un tel état de fait a plusieurs causes. D’abord, c’est le fruit de la volonté mécanique, qui tourne parfois à l’obsession, de respecter les quotas prescrits par la HACA. Résultat: on se focalise sur l’accès de tous les partis politiques aux JT et on en vient à oublier le contenu des interventions de leurs représentants.

Ensuite, là où le bât blesse vraiment, c’est concernant la conception que se font les responsables des télévisions publiques généralistes de l’information relative aux partis politiques. Il ne leur vient pas à l’esprit que leur rôle est d’apprécier (soutenir ou contester) les politiques publiques, les décisions des pouvoirs publics et d’être des forces de proposition et des porteurs de projets de société.

Enfin, autre cause, la libéralisation du paysage audiovisuel national, la création de la HACA et l’adoption de cahiers de charges devaient déboucher sur la transformation de la vieille RTM et de 2M en opérateurs publics (SNRT et SOREAD-2M). Or, les opérateurs publics, de par le monde, ont deux caractéristiques majeures: ils sont au service de la société, c’est-à-dire qu’ils sont le miroir de la société dans toute sa diversité et ses contradictions et leurs rédactions sont indépendantes des décideurs étatiques. Le mieux qu’on puisse dire à ce propos est que la SNRT et SOREAD-2M sont des opérateurs publics en devenir. Ils sont encore au milieu du gué.

Mais, là où les choses se gâtent, c’est lorsqu’il faut assurer l’équilibre des points de vue entre les partis en conflit lors d’une crise interne au sein d’un parti politique. De médias publics en devenir, nos opérateurs audiovisuels historiques (SNRT et SOREAD-2M) régressent à leur état «de nature»: celui de médias qui portent la parole étatique dans toute sa splendeur! Et là, il n’y a plus ni pluralisme, ni équité, ni équilibre… On verse dans l’apologie des favoris et le blâme et l’exclusion des brebis galeuses.

Prenons un ou deux exemples pour illustrer ce propos. Lorsque l’ancien secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat était tombé en disgrâce, il était devenu persona non grata sur Al Aoula et 2M. On ne lui donnait plus la parole. Il n’était plus invité dans les magazines d’information. Ses soutiens étaient également la cible d’un tel ostracisme. Mieux encore, même son image était soigneusement occultée. Quant au favori à la succession de Chabat, et ses soutiens, non seulement ils étaient les bienvenus, mais ils occupaient tout l’espace et le temps accordé au parti de Allal El Fassi.

Le même phénomène, même avec une variante, a été observé dans la bataille qui avait opposé Abdelilah Benkirane et les partisans d’un troisième mandat de l’ancien chef de gouvernement à la tête du PJD à ceux qui étaient opposés à ce troisième mandat et qui s’étaient regroupés autour de Saâd-Eddine El Othmani et des ministres du parti. Alors que cette bataille faisait rage et que les presses écrite et électronique en faisaient leurs choux gras, Al Aoula et 2M détournaient le regard et donnaient l’impression d’être ailleurs.

Si notre pays cherche à s’engager résolument sur la voie de la démocratie représentative, cela passe inévitablement par des partis politiques forts et indépendants. Forts de leur implantation populaire, et indépendants dans leur prise de décision et dans le choix de leurs leaders.

Par Chafik Laâbi
Le 09/02/2018 à 11h59