Depuis sa mise en place, en décembre 2014, après 10 ans de négociations entre les différents partenaires socioéconomiques, un nombre limité de personnes bénéficient aujourd’hui de l’Indemnité pour perte d'emploi (IPE). Selon les derniers chiffres disponibles, le nombre de bénéficiaires de ce mécanisme a atteint, depuis sa création, 77.826, un chiffre bien en deçà de l’objectif fixé de 30.000 bénéficiaires par an, selon le dernier rapport du CESE préparé par sa Commission permanente chargée des Affaires sociales et de la Solidarité.
Le CESE rappelle que l’indemnité pour perte d'emploi a été mise en place, pour une durée de six mois, au profit des salariés du secteur privé formel, déclarés auprès de la CNSS, en cas de licenciement. Son montant mensuel est égal à 70% du salaire de référence (salaire mensuel moyen déclaré des 36 derniers mois), sans excéder le montant du salaire minimum légal (SMIG).
Lire aussi : Vidéo. L’intégration de l’informel au centre d’une rencontre entre la Chambre des conseillers et le CESE
Selon le Conseil économique, social et environnemental, cette indemnité est une «prestation limitée et peu appropriée à la couverture du risque de perte d’emploi dans notre pays». Il s’agit d’un dispositif qui «n’a pu atteindre l’objectif initialement ciblé de 30.000 personnes par an».
A ce titre, le CESE note que sur les 32.633 salariés qui ont déposé une demande de l’IPE en 2019, seuls 15.036 ont pu bénéficier de cette prestation. A cela s’ajoute le fait que le marché de l’emploi au Maroc est caractérisé par un faible taux d’activité, qui s’était établi à 45,8% en 2019. Parmi ces actifs, 9,2% étaient au chômage. De plus, l’informel emploie 40% de la population active qui n’est pas couverte par ce dispositif. Les travailleurs non-salariés et les indépendants ne sont pas non plus couverts par ce dispositif. Et cette situation s’est davantage exacerbée avec la pandémie du Covid-19.
L’analyse des caractéristiques du dispositif actuel de l’IPE fait ainsi ressortir trois principales raisons limitant sa portée. Le Conseil cite tout d'abord les conditions d’éligibilités restrictives, avec notamment un rejet de la moitié des dossiers à cause de l’insuffisance du nombre de jours déclarés.
En effet, l’analyse des motifs de rejet des dossiers déposés, fait ressortir, qu’entre 2015 et 2019, en moyenne un peu plus de la moitié des dossiers ont été rejetés à cause de l’insuffisance du nombre de jours déclarés. Le manque de pièces justificatives et/ou d’information vient en deuxième position des motifs de rejet et concerne, à peu près, le tiers des demandes des salariés rejetées. De plus, il est à signaler qu’en moyenne 8% des dossiers ont été rejetés à cause de leurs dépôts hors délais.
Lire aussi : Marchands ambulants: le CESE remet le dossier sur la table
Le CESE relève, par ailleurs, des niveaux de prestations insuffisants, avec comme base de calcul le SMIG et qui ne répond pas au niveau de vie de plusieurs catégories professionnelles.
Le Conseil explique que le montant moyen mensuel de l’IPE, de l’ordre de 2.485 dirhams en 2019, est loin de permettre à l’assuré de sauvegarder un niveau de vie suffisant. Et le fait que cette indemnité soit calculée par rapport au SMIG interpelle sur deux points: elle ne répond pas au niveau de vie des catégories professionnelles qui touchent plus de 4.000 dirhams et elle n’est pas conforme au minimum prévu par les normes internationales en la matière pour les salaires à partir de 6.000 dirhams.
Le CESE ajoute que le financement de ce mécanisme reste insuffisant et inéquitable. Il ne tient compte ni de la durabilité des sources de financement, ni de la répartition des catégories professionnelles, au moment où le maintien de l’équilibre financier de ce système d’indemnisation devrait tenir compte à la fois de la durabilité des sources de financement et de la répartition des catégories professionnelles et veiller à ce qu’aucune d’elles ne supporte une charge disproportionnée.
Cette situation interpelle, selon le CESE, sur l’urgence d’une réorganisation de cette indemnité, qui fait partie des quatre axes visés par la réforme prévue par la loi-cadre sur la protection sociale. Il est ainsi recommandé d’instaurer un régime assurantiel qui comprend deux dispositifs.
Le premier est un régime d’assurance chômage pour les travailleurs salariés, qui permettrait de dépasser les limites actuelles de l’IPE à travers la réduction du nombre minimum de jours de cotisation requis, l’augmentation du plafond de l’indemnité en le portant à un multiple du SMIG (4 à 5 fois le SMIG), l’extension de la durée des prestations de manière proportionnelle à la durée cotisée et l’élargissement du financement par la rationalisation et le recentrage des ressources et des produits financiers disponibles, sans alourdissement des charges pesant sur les entreprises et sur les travailleurs.
Lire aussi : Vidéo. Le CESE propose l'institutionnalisation du dialogue social via une loi cadre
Il s’agit aussi de la simplification des procédures administratives et de l’extension, de manière progressive, des conditions d’éligibilité.
Le Conseil plaide également pour la mise en place d’un régime d’assurance chômage pour les travailleurs non-salariés. Cette proposition qui interviendrait de manière graduelle doit faire l’objet d’un débat et d’une concertation entre les parties concernées de manière à tenir compte des spécificités des différents métiers et implique de définir préalablement ce que constituerait la cessation d’activité pour ces catégories de travailleurs.
Il est aussi recommandé par le CESE d’associer à ce régime assurantiel deux mesures importantes d’accompagnement, à savoir: un régime assistanciel qui couvrirait les travailleurs ayant perdu leur emploi et ne remplissant pas les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage ou les personnes en fin de droit et un dispositif actif d’aide au retour à l’emploi qui, en impliquant l’intervention obligatoire et formalisée de l’ANAPEC et de l’OFPPT, doit fait partie intégrante de ce nouveau système de manière à favoriser une réinsertion rapide au marché du travail.