Vidéo. Nouveau progrès dans la législation: les droits des intersexes, humains ambigus, bientôt reconnus au Maroc

La Dr Amal Chabach est sexologue, et exerce à Casablanca.  . Le360

Le 06/07/2021 à 19h23

VidéoDans le Royaume, le législateur s’apprête, pour la première fois, à reconnaître l’ambiguïté d’un humain à sa naissance. Un projet de loi sur l'état civil, adopté à l’unanimité par la Chambre des représentants, consacre un article aux personnes intersexes et leur reconnaît le droit à choisir leur genre. Un progrès.

Travestis et autres sulfureuses drag queens, passez votre chemin: la révolution transgenre n’est pas (encore) passée par le Maroc. Le Royaume reconnaît toutefois, pour la première fois, dans le cadre d’un projet de loi global sur l’état civil, les personnes intersexe, ou hermaphrodites -quoique ce terme est de moins en moins utilisé dans les sociétés les plus avancées dans les revendications des communautés LGBTQ (pour lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et queers -auxquels viennent parfois s’ajouter les intersexes).

Cependant, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, un article, contenu dans ce projet de loi, qui vient d’être adopté à la Chambre des représentants, et qui poursuit actuellement son bonhomme de chemin dans les méandres du Parlement, reconnaît les personnes intersexes.

Mais qu’est-ce qu’une personne intersexe? Il faut tout d’abord savoir que ce sont des êtres humains dont la prévalence est de l’ordre de l’anecdotique dans une population donnée, et les Marocains intersexes n’échappent pas à cette règle: «j’ai vu très peu de cas au cours de mes vingt ans de carrière», confirme, pour Le360, la Dr Amal Chabach.

Sexologue à Casablanca, la Dr Chabach explique qu’«il y a trois types d’hermaphrodismes. Tout d’abord l'hermaphrodisme vrai, qui est très rare. Il s'agit d'individus possédant à la fois un tissu testiculaire et un tissu ovarien. Il y a aussi le pseudo-hermaphrodite masculin, qui a un caryotype avec le chromosome XY [chromosome masculin, Ndlr], et des voies génitales «mélangées» (homme-femme): cela peut être un pénis, des testicules et de grandes lèvres. Enfin, dernier cas de figure, le pseudo-hermaphrodite féminin, a un caryotype avec le chromosome XX [chromosome féminin, Ndlr]. La personne peut posséder des organes génitaux externes ambigus, tel qu’un utérus et un petit pénis».

Ce qu’en dira (bientôt) la loiCe fameux article 28, qui reconnaît les personnes intersexes, lequel vient d’être adopté à l’unanimité par les députés de la Chambre des représentants, contenu dans un projet de loi global sur l’état civil, portant le n° 36.21, «autorise la mention "hermaphrodite" lors de l’enregistrement de la naissance d’une personne. Un certificat médical est toutefois requis, précisant le sexe binaire du nouveau-né, homme ou femme. En cas de changement de sexe de l'hermaphrodite à l'avenir, il est modifié dans le certificat de naissance, en vertu d'une décision rendue par une juridiction compétente», explique Me Imane Ouahi, avocate au barreau de Casablanca.

Pour Le360, Me Ouahi, tient toutefois à préciser que le projet de loi en question ne permettra cependant aucunement «de faire figurer dans les actes de l’état civil l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin.

En d’autres termes, la reconnaissance d’un sexe «neutre», «indéterminé» ou d’un «troisième sexe» sur les registres de l’état civil n’est pas une option qui a été envisagée par le législateur marocain, en ce qui concerne les personnes nées avec certaines spécificités morphologiques».

En fait, s’il y a un doute sur le sexe d’un bébé, il faut effectuer un caryotype, c’est-à-dire une analyse des chromosomes pour déterminer si l’enfant est réellement porteur d’un chromosome XX (féminin) ou XY (masculin).

Pour la sexologue Amal Chabach, «il ne faut pas rester dans le doute, l’impact psychologique peut-être dévastateur pour le bébé hermaphrodite». La sexologue insiste: «il faut lui donner une chance de vivre sa vie pleinement, ce n’est pas un luxe. Je suis contente que ce projet de loi soit en cours. Les personnes hermaphrodites n’ont rien avoir avec les transgenres ou les travestis», juge cette spécialiste.

L’hermaphrodisme mentionné à l’état civilMais voici, plus concrètement encore, ce que l’article de ce projet de loi à venir offre comme possibilité: celle de faire mention de cet hermaphrodisme sur les registres de l’état civil. Mais attention: les parents ont l’obligation de fournir un certificat médical précisant le sexe du nouveau-né, une détermination qui constituera la base de l’établissement du certificat de naissance.

En d’autres termes, le nouveau-né sera nécessairement de sexe masculin ou féminin sur l’état civil, mais la mention de son hermaphrodisme y figurera, certificat médical à l’appui, mentionnant des spécificités morphologiques autres, ou une ambiguïté se rapportant à la détermination du genre.

«Cette mention facilitera par la suite le changement de sexe sur les registres de l’état civil, changement qui fait jusqu’à présent l’objet de plusieurs problématiques, et mène souvent à une bataille juridique qui peut durer dans le temps», confie Me Ouahi.

Le législateur marocain suspend donc le changement ultérieur du sexe d’une personne intersexe à l’obtention d’une décision judiciaire d’un tribunal compétent, suite à laquelle cette personne sera autorisée à changer d’identité sur l’ensemble de ses documents officiels.

L’avocate en conclut que le Maroc ne s’aligne donc pas, en cas de promulgation de ce projet de loi, avec d’autres législations de pays en Occident, qui reconnaissent un troisième sexe sur les registres de l’état civil.

Ce fameux article 28 contenu dans le projet de loi à venir sur l’état civil ne bouleversera donc pas la pratique en la matière du droit marocain, fondée sur une séparation binaire des sexes dès la naissance.

Cette reconnaissance par le projet de loi facilitera néanmoins un changement de prénom en cas de changement de sexe, lequel sera inscrit «temporairement» sur les registres de l’état civil.

La prison, c’est terminéLe projet de loi vient aussi apporter une solution à un problème de taille auxquels étaient confrontés les magistrats marocains, si une personne intersexe en venait à tomber sous le coup de la loi, en ce qui concerne, par exemple, une orientation supposément homosexuelle, que la loi marocaine réprime toujours. L’attribution d’un genre juridique, et par conséquent la décision de condamner un humain, que ce soit une femme, ou un homme, relevaient injustement de la fonction des magistrats, et non des médecins.

Autre progrès de l’article de loi consacrant les intersexes: la reconnaissance de l’intersexualité d’un Marocain(e) à l’état civil permettra donc d’éviter des opérations chirurgicales hâtives, aux conséquences irréversibles pour les intéressés.

L’article 28 du projet de loi n° 36-21 relatif à l’état civil est donc «une réaction du législateur marocain face aux défis que représente l’hermaphrodisme. C’est aussi une reconnaissance des distinctions morphologiques et comportementales entre les genres puisque le corps hermaphrodite contredit, par sa seule existence, l’identité traditionnelle de la société marocaine basée sur une nette division entre le genre masculin et féminin», explique, pour finir, Me Imane Ouahi. Le Maroc avance donc, à son rythme, vers la reconnaissance de la différence… En faisant évoluer le droit positif, et en s’appuyant sur la science.

Par Reda Benomar
Le 06/07/2021 à 19h23