Devant une audience réceptive, un Rotarien tend le micro à une artiste de la célèbre place Jamaâ El Fna, à Marrakech, et la somme de prononcer brièvement son discours. «Cette initiative vient redonner un peu d’espoir pour une poignée d’entre nous. Mais sachez que nous ne représentons qu’une infime minorité des artistes de la place», lance Amel d’une voix grave et fatiguée devant un parterre médusé, qui, visiblement, a du mal à se remettre de la dissonance entre l’être et le paraître.
Cette scène a eu lieu dans un hôtel chic de la ville Ocre samedi dernier, à l’issue de la So Cup, une compétition de golf tenue par le Rotary Club sur un 18 trous avec une vue imprenable sur l’Atlas. Se tenaient debout à côté d’Amel, pour brandir l’énorme chèque en carton mentionnant initialement la coquette somme de 100.000 DH prévue par l’initiative, les représentants de 5 associations des «hlaykia» (conteurs, danseurs…) «les plus nécessiteux».
Tous ont le regard plongé dans un vide sidéral et acceptent de mettre leur dignité de côté, le temps d’un cliché. Devant eux, les flash crépitent et pour une fois, le «hlayki» n’est pas maître de son propre spectacle.
Lire aussi : Vidéo. Marrakech: sans ressources, ni aide, des artistes de la place Jemaâ El Fna contraints de mendier
La scène suscite l’empathie de l’audience. A la seconde prise de parole, un artiste remercie les organisateurs et fléchit légèrement la tête en signe de respect. La foule clame à tout rompre. Envoûtée par l’ambiance, une membre du Club ouvre le bal des enchères et rajoute 20.000 DH à cette cagnotte. Un deuxième contributeur relance et 20.000 DH est adoptée de concert comme ticket de base. Quelques minutes plus tard, le croupier met un terme à la partie, l’enveloppe totale collectée s’élève à 260.000 DH!
Cette initiative privée est l’une des rares à venir en aide à cette population vulnérable, qui contribue activement à la notoriété culturelle de la place Jamaâ El Fna. Ces artistes qui figurent, pourtant, dans les plaquettes publicitaires de la destination sont, aujourd’hui, une espèce en voie de disparition.
«Le Rotary nous a soutenus deux fois. La première fut au mois de ramadan. Sinon, personne ne se préoccupe de notre sort», confie Amal, la présidente d’une des associations de la place. Cela en dit long sur la situation socioéconomique de cette catégorie, dépourvue de tout statut social et dont un certain nombre en vient à quémander le jour, tandis que d’autres, sans abris, squattent les cafés à la tombée de la nuit.
Et, rien ne semble dissiper l’incertitude qui plane sur leur avenir. «C’est à se demander à qui incombe la responsabilité de perpétuer cet art ancestral», s’interroge un artiste. Ce sont, aujourd'hui, pas moins de 450 foyers qui dépendent des Halqa. «Même le week-end, on ne gagne aujourd'hui que 80 DH par jour. Le restant de la semaine, c’est à peine si j'arrive à rembourser le déplacement du quartier Mhamid, où j’habite, jusqu’ici», confie un responsable associatif. La récente suspension des vols prive ces artistes du «touriste étranger», qui lui seul, leur permettait de maintenir la tête hors de l’eau.