Un conte de fée. Première femme marocaine, maghrébine, africaine, arabe, musulmane à monter sur le podium des Jeux olympiques, le 8 août 1984. Le drapeau marocain a flotté à Los Angeles, chargé de la fierté de tout un peuple, émerveillé par cette jeune fille entrée dans l’histoire du sport et du sport féminin. Une médaille d’or dans le premier 400 m haies féminin de l’histoire des Jeux olympiques. Cette année, il n’y eut que 1.566 femmes parmi les 6.829 athlètes en lice!
Les premiers Jeux olympiques datent de 8 siècles av. J.-C, à Olympie, en Grèce, en l’honneur de Zeus, considéré comme le dieu des dieux. Les athlètes le priaient pour gagner et lui faisaient des offrandes après leur succès.
En 1896, le baron français Pierre de Coubertin initiait les premiers Jeux olympiques modernes, à Athènes, et fonde le Comité international olympique (CIO) qui, à ce jour, est l’organisation gouvernant le mouvement olympique.
Mais les femmes en étaient exclues, sous prétexte qu’elles n’avaient ni force ni d’endurance, que leurs corps se masculiniseraient et que leur utérus pourrait tomber et provoquer la stérilité. En 1901, Pierre de Coubertin écrivait: «Le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été: elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable.»
1912, mobilisation féminine: 2% des athlètes étaient des femmes, pour seulement deux disciplines. Réponse du sieur De Coubertin: la femme est «inintéressante, inesthétique…» Puis, en 1928: «C’est contre mon gré qu’elles ont été admises à un nombre grandissant d’épreuves». Pour lui, le véritable héros olympique est le mâle. Le rôle des femmes est de couronner les vainqueurs.
Ce n’est qu’en 2007 que la Charte olympique rend obligatoire la présence des femmes dans le sport. Les JO 2024 assurent quant à eux la parité. De Coubertin, pour qui les femmes n’ont pas à se donner en spectacle, doit se tortiller dans sa tombe!
Nawal El Moutawakel fait partie des femmes qui ont contribué à promouvoir la compétition sportive féminine. Elle est née dans un milieu qu’elle qualifie de modeste: un père et une mère banquiers et 5 enfants à élever. Aux jeunes qu’elle rencontre, elle inculque l’idée que la réussite est possible pour ceux et celles qui fournissent des efforts, sont persévérants et croient en eux-mêmes.
Certaines rencontres, bénies, changent le cours d’une vie. Nawal en a fait une qui va déterminer son destin de sportive. «Dans ma famille, le sport était dominant. Élève au Lycée Al Khansa, ma mère jouait au volleyball. Mon père était judoka. Inscrire leurs enfants dans un club de sport était pour eux une évidence.»
Pendant que les adolescentes de son âge étaient à la recherche de sorties et d’autres réjouissances, Nawal n’avait qu’une activité: courir.
«En 1978-79, tous les samedis et dimanches, je sautais le mur du stade La Casablancaise pour m’entraîner, clandestinement. Sans entraîneur, je courrais de façon anarchique, sans technicité.
Un homme m’observait, étonné par cette adolescente frêle, de petite taille, qui s’entraînait avec ténacité. Il me faisait des signes pour améliorer ma façon de courir. Je le rencontrai aussi quand je courrais au Parc de la Ligue arabe, où il était accompagné de son épouse et de ses enfants.
Un jour, il m’a abordée pour me dire que j’ai un grand potentiel. Il a commencé à me prodiguer de précieux conseils. C’était Jean-François Coquand, professeur d’arabe au Lycée Lyautey et grand amateur d’athlétisme. Il m’a appris qu’il souhaitait intégrer un club pour exercer sa passion. Je lui ai conseillé mon club, le CMC. Il s’y est inscrit et a obtenu sa première licence d’entraîneur au CMC.»
Cette rencontre marque la naissance d’une profonde amitié qui unit, à ce jour, Nawal El Moutawakel à cet homme et son épouse, Hélène: «Il est devenu mon ami, mon confident, mon entraîneur. Sa famille m’est très chère.»
L’attachement de Nawal au sport faisait chuter ses notes et inquiétait ses parents. «Les Coquand m’ont encadrée dans ma scolarité, ce qui rassura mes parents qui m’ont toujours encouragée.»
L’entraîneur convainc Nawal de se spécialiser dans le 400 mètres haies. En 1982, elle remporte 3 médailles d’or lors des Championnats d’Afrique du Caire. En 1984, à 8 mois des Jeux olympiques de Los Angeles, elle s’installe aux États-Unis pour ses études et pour sa carrière sportive.
Un jour, elle apprend que son père est décédé depuis plusieurs mois. Sa famille a voulu la protéger du drame qui aurait probablement mis fin à sa carrière si prometteuse. «Meurtrie, j’ai décidé de tout abandonner. Mais j’ai continué, grâce au soutien de mon entourage. Mon père était un homme bon, d’une grande ouverture d’esprit. Son rêve était de me voir sur le podium olympique. Ce fut ma motivation. Ma médaille olympique, je l’ai dédiée à mes parents, Allah yarhamhoum.»
Nawal fut secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires sociales chargée de la Jeunesse et des Sports (1997), ministre de la Jeunesse et des Sports (2007) et députée en 2016. Elle a obtenu nombreuses prestigieuses distinctions du Maroc et d’autres pays et organismes.
L’Association marocaine sport et développement qu’elle préside réalise de grandes opérations, tant pour la promotion du sport, y compris féminin, qu’au niveau caritatif.
En 2012, elle est élue membre du bureau exécutif et vice-présidente du Comité international olympique (CIO) et présidente de la commission de coordination des Jeux olympiques de Rio 2016. En 2023, elle est réélue membre du CIO.
Assister à sa propre consécration est un privilège. Le plus souvent, cela se passe à titre posthume, ce qui est regrettable, car la personne part sans avoir été gratifiée, sans avoir su que son courage et son engagement ont été reconnus, et combien elle a été aimée et appréciée. Lors de l’inauguration du complexe sportif portant son nom, Nawal El Moutawakel l’a su! Un moment de grande émotion.