Sur son compte TikTok, suivi par plus de 152.000 abonnés, Chaimae, 19 ans, partage depuis quelques jours quantité de vidéos de son quotidien. La jeune fille originaire de Martil, dans le nord du Maroc, est littéralement devenue une star sur ce réseau social. Son succès, elle le doit à un exploit bien particulier, admiré par certains, décrié par d’autres, celui d’avoir quitté clandestinement le Maroc, en nageant plus de cinq heures pour atteindre Sebta.
Malgré le froid, les courants forts, les vagues qui menacent de vous envoyer par le fond ou de vous déchirer sur les rochers, elle y est parvenue, grâce, explique-t-elle à un média local mais aussi sur les vidéos qu’elle partage abondamment, à sa bonne maîtrise de la natation. Il aura pourtant fallu à celle qui se rêve sauveteuse dans cette autre vie fantasmée, s’y reprendre à quatre reprises.
À peine arrivée, l’adolescente se filme en train de marcher pieds nus, de nuit, dans les rues de l’enclave espagnole. Les cheveux mouillés, encore vêtue d’une combinaison intégrale rose bonbon et gris clair, elle apparaît souriante, enjolivée par un filtre beauté, le pouce levé en signe de victoire. Depuis son arrivée, la jeune fille, prise en charge dans un centre, multiplie les vidéos dans lesquelles elle traduit ses sentiments en reprenant en playback des chansons de raï et de rap qui toutes parlent de Hrig, de la frustration qui pousse à quitter son pays et sa famille pour d’autres cieux, de nostalgie… Au fil de ces vidéos, sur lesquelles elle pose comme une touriste dans les rues de la ville, on ne peut qu’être marqué par l’impressionnant répertoire musical dédié à cette thématique. Se dire qu’une partie de notre jeunesse se retrouve dans ces paroles est un crève-cœur.
En commentaires des posts de Chaimae, beaucoup de réactions d’admiration, des demandes de conseils pour suivre son exemple, des messages de soutien, mais aussi, des critiques, car dans cette documentation de sa vie de clandestine prête à braver la mort, à seulement 19 ans, beaucoup voient une incitation des jeunes Marocains à imiter son exemple. Le phénomène a de quoi inquiéter au vu des millions de vues, que la jeune Marocaine totalise dans certaines de ses vidéos devenues dangereusement virales.
Plus inquiétant encore, sur ce réseau social, les hashtags Hrig et Haraga abondent. Des traversées en mer, des liasses de billets de banque que l’on exhibe, des partages d’expériences une fois arrivés à destination… la plateforme se fait le relais de ce nouveau type d’influenceurs qui glamourisent leur quotidien. Pour des jeunes frustrés et désespérés, rien de plus facile que de se projeter dans ces exemples de «réussite» apparente, de la même manière qu’aujourd’hui, les nouvelles idoles de la Gen Z prennent les traits d’influenceur(se)s qui tous prétendent vivre une vie de rêve, argentée et sans contraintes.
Autant de récits filmés diffusés sur des réseaux sociaux qui participent à la mystification de l’immigration clandestine et à conférer aux récits des rescapés la dimension d’une épopée héroïque.