Un de mes étudiants, peut-être le plus brillant, en tout cas le plus motivé, est handicapé. Il a des difficultés à marcher, à écrire et à parler. Il s’agit sans doute d’une maladie neurodégénérative mais, par pudeur, je ne lui ai jamais posé la question. Pendant les cours, chaque mardi, c’est lui qui pose les questions les plus pertinentes et qui fait les commentaires les plus intéressants. Ses condisciples et moi, nous l’écoutons avec attention et avec patience: ses difficultés d’élocution font que nous devons tous faire silence et nous concentrer pour l’entendre. Son handicap ne l’empêche pas de prendre des initiatives. Après un cours sur l’Empire carolingien, c’est lui qui a proposé aux autres étudiants d’organiser une excursion à Aix-la-Chapelle, la capitale de Charlemagne.
Tout cela (je veux dire, l’attitude de la classe envers leur infortuné camarade) montre déjà un aspect très civilisé du monde dans lequel nous vivons.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans le journal des étudiants de l’université, ce même T. (vous ai-je dit qu’il s’appelait T.?) évoque une autre question à laquelle je n’avais pas pensé, celle des examens. Vu son handicap, T. a le droit d’utiliser un ordinateur portable au lieu du stylo et de la feuille de papier, et il dispose également de plus de temps que les autres pour répondre à toutes les questions. Mais surtout, et je l’ignorais, des surveillantes volontaires accompagnent les étudiants handicapés, les aident à s’installer, sont à leur disposition en cas de problème.
Qui sont ces dames? Il s’agit en général d’accortes retraitées qui débordent encore d’énergie et qui veulent la mettre à la disposition de ceux parmi leurs compatriotes qui en ont besoin. Elles s’inscrivent donc sur les tablettes de l’université et sont mobilisées quand il le faut. Elles s’occupent alors d’un étudiant, l’aident à accéder à la salle d’examen, lui apportent de l’eau ou même un sandwich s’il le faut et font office de surveillantes. Le plus important, écrit T., c’est qu’elles sont souriantes et volubiles, ce qui adoucit cette épreuve parfois traumatisante qu’est un examen.
Les anthropologues nous disent qu’il ne faut jamais établir de hiérarchie entre les cultures, qu’elles se valent toutes ou bien qu’elles ne sont pas commensurables. Permettez-moi, amis anthropologues, de ne pas être d’accord. On peut classer les sociétés selon la façon dont elles s’occupent de leurs handicapés. Vous-mêmes, où voudriez-vous vivre, dans un coin du monde où on les élimine ou dans un autre où des dames consacrent temps et énergie à ce qu’ils puissent passer leurs examens dans les meilleures conditions?
Poser la question, c’est y répondre.
Je ne sais pas quelle est la situation au Maroc. Peut-être y a-t-il déjà une ONG qui s’occupe des examens des étudiants handicapés, auquel cas: bravo! Sinon, il serait urgent d’en créer une. Elle pourra certainement compter sur l’appui du ministre de l’Éducation nationale.