Tout commence en septembre 2021, lorsque des captures d’écran de conversations tenues sur WhatsApp entre un homme et trois femmes se mettent à circuler à grande échelle sur la messagerie. Promesses de faveurs sexuelles, vidéos et photos érotiques… La teneur des conversations ne laisse pas de place au doute et il y est question de sexe entre un professeur et trois de ses étudiantes. Les numéros de téléphone figurant sur les captures d’écran, l’identité des personnes ne fait plus aucun mystère… Et l’affaire se médiatise. Le synopsis de ce scénario glauque tient en un slogan qui fait les gros titres des journaux: «sexe contre bonnes notes».
Les trois filles sont sœurs et habitent la petite ville de Bejaâd, dans la région de Beni Mellal-Khenifra. Elles étudient à Settat, à l’université Hassan 1er. Quant à celui qu’elles appellent oustad dans les messages WhatsApp, il s’agit du chef du département de droit public à la Faculté de droit et des sciences politiques à l’Université Hassan 1er à Settat. Mohamed Aziz Khamrich est un homme qui n’est pas inconnu des médias, dans lesquels il intervient parfois pour apporter son éclairage sur des questions politiques. L’homme, en plus de ses attributions d’universitaire, est aussi politisé, et occupe ainsi le poste de conseiller collectif auparti du Mouvement populaire dans la ville de Bejaâd, où il réside. Et en ce mois de septembre 2021, la campagne électorale en vue des élections législatives bat son plein.
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C’est précisément sur ce terrain politique que va se réfugier l’universitaire lorsque son nom se retrouve associé à ce scandale sexuel et que les messages, après avoir fait le tour de la faculté, franchissent les murs de l’établissement et deviennent un sujet de conversation national.
Une machination politique déguisée en sextorsion ou l’inverse?L’homme se saisit alors de la presse, avec laquelle il est familier, pour crier au complot. Son téléphone, explique-t-il, aurait été volé et ces conversations salaces étalées crûment sur la place publique seraient un pur montage, une fabrication visant à nuire à ses ambitions politiques.
Devant la caméra d’un média marocain, la mère des filles impliquées dans cette affaire, s’exprime à visage couvert pour dire tout le bien qu’elle pense de cet homme, un proche de la famille de longue date, un homme bienveillant, que ses filles appellent khali (mon oncle). La parole est aussi donnée par le même média à d’autres étudiants de la faculté qui connaissent l’homme pour être leur professeur, et tous crient à un complot politique, décrivant un homme au-delà de tout soupçon. On dénonce aussi à cor et à cri cette souillure infligée aux étudiantes de Bejaâd, désormais cataloguées de la pire des manières. Pour ces personnes, cette sale affaire éclabousse l’image et l’honneur des jeunes femmes de la ville. Ce qui n’est pas admissible. Cette affaire aurait pu s’arrêter à ce stade, mais trop tard, la justice ne va pas tarder à entrer dans la danse.
Les dessous peu reluisants de l’icebergIn fine, malgré toutes les bonnes intentions des soutiens de ce professeur auquel ils donnent le bon Dieu sans confession, cette campagne médiatique de blanchiment d’une réputation fait chou blanc. Car déjà, les services de sécurité de la ville de Bejaâd se saisissent de l’affaire et auditionnent deux des étudiantes qui figurent dans les échanges de la messagerie. Elles confirment alors avoir été en contact avec le professeur en question et soutiennent en fait avoir bénéficié de bonne notes… En échange de relations sexuelles. Autrement dit, il s’agit là de sextorsion.
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Puis, mardi 14 septembre 2021, une commission d’inspection du ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur se déplace à la faculté de droit de l’Université Hassan Ier de Settat pour auditionner cette fois-ci, non pas un, mais… Quatre autres professeurs. A l’issue de cette enquête et d’un rapport détaillé réalisé par l’inspection générale de ce département, la première tête tombe, celle d’un professeur d’économie, suspendu suite aux soupçons de harcèlement sexuel envers ses étudiantes qui pèsent contre lui.
La Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) se saisit à son tour de cette affaire décidément autrement plus complexe que ce qu’il n’y paraissait. Mais les semaines passent sans qu’aucune révélation supplémentaire ne soit faite. Le soufflé serait-il retombé?
Loin des spotlights de la presse, la BNPJ poursuit ses auditions et au terme de son enquête préliminaire, et décide de déférer devant le procureur général du Roi près de la Cour d’appel de Settat… Cinq professeurs! Il ne s’agit plus là d’un pervers isolé, mais littéralement d’un gang, composé de surcroît d’éminences de l’établissement, ayant visiblement profité de leur pouvoir pour mieux asseoir leur sordide petit trafic.
Il s’agit en l’occurrence du président de la filière de droit public, du coordinateur du master de finances publiques à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Settat, du président de la filière économie, ainsi que d’un professeur d’histoire de la pensée politique et d’un professeur d’économie. Autrement dit, c’est toute la nomenclature de l’établissement, son sérieux et son intégrité, qui se retrouvent éclaboussés. Quant au désarroi dans lequel ces hommes de pouvoir ont plongé ces jeunes filles, en profitant de leurs rêves d’avenir et de leur ambition, pour mieux les asservir… Les mots manquent.
Des bancs de la fac à l’école du crimeSuite à l’enquête préliminaire de la BNCJ, parmi ces cinq hommes, trois sont alors poursuivis pour harcèlement sexuel et incitation à la débauche, tandis qu’un quatrième répond au chef d’accusation d’abus de pouvoir, faux et usage de faux. Deux d’entre eux sont poursuivis en état d’arrestation, tandis que les deux autres doivent se présenter à l’ouverture de leur procès en état de liberté provisoire, suite au paiement d’une caution de l’ordre de 70.000 dirhams. Quant au cinquième, le professeur d’économie, celui-ci, en état d’arrestation, est poursuivi pour attentat à la pudeur avec violence. Une charge autrement plus grave que celle de ses compagnons de vice.
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Mardi 7 décembre, à 13 heures, c’est cette fois-ci devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Settat que les quatre hommes se sont présentés à l’ouverture de leur procès. Accusés d’«incitation à la débauche», de «discrimination fondée sur le genre», ou encore de «violence contre des femmes», ils étaient représentés par pas moins de quinze avocats. In fine, deux d’entre eux restent en prison, leur demande de liberté provisoire ayant été rejetée par le juge, en attendant leur prochain procès, dont la date aurait été fixée au 14 décembre.
Le cinquième accusé, le seul poursuivi pour attentat à la pudeur avec violence, devait comparaître le mercredi 8 décembre dernier devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Settat. Il encourt jusqu’à dix ans de réclusion selon l’article 485 du Code pénal qui stipule que «tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences contre des personnes de l’un ou de l’autre sexe est puni de la réclusion de cinq à dix ans».
Du #metoo au #7taana?Cette sombre affaire aura, faut-il espérer, de bons côtés. Notamment celui de donner aux victimes potentielles le courage de dénoncer ces pratiques, visiblement courantes dans les facultés et les écoles supérieures au Maroc. Car avant le scandale de Settat, d’autres faits liés au harcèlement sexuel ont secoué l'université Abdelmalek Essaadi de Tétouan, l’université Mohammed V de Rabat,l’université Al Akhawayn à Ifrane,l’université Moulay Ismaïl de Meknès, pour ne citer que les affaires les plus récentes.
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Malheureusement, ce type de chantage est loin d’être un cas isolé ou spécifique à l’université de Settat. Car à en croire les témoignages qui s’affichent timidement sur la Toile et les affaires scabreuses qui font la Une des médias, nombre d’universitaires activent le levier des notes pour obtenir des relations sexuelles avec leurs étudiantes.
Conscient de l’enjeu qui se joue alors que le procès des cinq universitaires débute à peine, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a annoncé qu’il comptait investir le terrain universitaire pour sensibiliser à ce fléau, le combattre et faire du harcèlement sexuel dans les universités l’un des projets prioritaires du CESE durant l’exercice 2022.
Une décision plus que nécessaire à l’heure où le doyen de l’université de Settat a présenté sa démission sans même attendre les résultats de l’enquête et que la présidente de l’établissement, Khadija Assafi, se mure dans le silence. Contactée par Le360 via son administration, celle-ci n’a pas donné suite à nos appels et demandes d’interviews.
Quelques mois après la naissance d’un mouvement #metoo au sein des universités et grandes écoles françaises, ayant entraîné à ses prémisses la démission du directeur de Sciences-Po Paris, Frédéric Mion, suite à l’affaire Duhamel, cette affaire marocaine pourrait bien poser les bases d’un assainissement des mœurs et des usages dans les universités marocaines.