Service des urgences: le cri d’un père face à la négligence

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueCe n’est plus seulement le manque d’infrastructures ou de médecins qui indigne, mais l’humiliation des malades, l’indifférence face à la douleur, la négligence devenue système. Comment accepter qu’un hôpital, lieu de vie et d’espoir, se transforme en espace d’abandon et de souffrance?

Le 26/09/2025 à 10h58

Témoignage d’un père:

«Deux heures du matin. Le téléphone sonne: mon fils a eu un accident de moto. Sur place, des policiers en moto m’accueillent avec une grande humanité. Mais l’ambulance de la Protection civile n’arrive qu’après trois quarts d’heure.

Mon fils gît sur le sol, ensanglanté. Son pantalon est déchiré, deux bouts d’os jaillissent de sa cuisse: le fémur est cassé. Il hurle de douleur. Quand enfin les ambulanciers arrivent, ils le soulèvent comme un sac de patates. Aucune précaution. Direction imposée: l’hôpital Moulay Youssef. J’insiste pour les nouvelles urgences d’Ibn Rochd, mais ils refusent.

À Moulay Youssef, le choc: pas de médecin, pas d’infirmier, seulement des agents de sécurité. ‘Il est tard, ils sont partis’, me lance l’un d’eux. Mon fils continue de hurler, allongé à même le sol. Je filme la scène. Les agents verrouillent la porte et exigent mon téléphone pour effacer la vidéo. Je leur tends celui de mon fils. Finalement, ils me conseillent d’aller à Ibn Rochd.

Aux nouvelles urgences, je donne 100 DH à un agent de sécurité pour activer la prise en charge. À l’intérieur, c’est une scène d’horreur: blessés étendus au sol, sang partout, cris. Deux personnes saisissent mon fils, le sortent de la civière et le jettent brutalement sur le carrelage ensanglanté. Les os de sa cuisse ressortent davantage. J’ai peur qu’il meure d’une hémorragie.

Je donne 200 DH à un infirmier pour qu’il l’emmène aux soins intensifs. Mon fils, désespéré, lui tend 100 DH supplémentaires, le suppliant de faire venir un médecin. On lui fait des radios, mais je n’ai pas le droit de l’accompagner. L’infirmier ‘graissé’ m’indique un escalier discret. À l’étage, du personnel attablé autour d’un plateau de thé, riant comme dans un café. Ils s’énervent en me voyant.

«Où situer la responsabilité? Certainement pas du côté de l’État, qui a doté le pays d’infrastructures modernes et de personnel rémunéré. Le problème, c’est un hôpital public réduit à une caserne de vigiles, déserté par les médecins et infirmiers de garde.»

—  Soumaya Naamane Guessous

L’infirmier me tend la bague de mon fils: ‘Ces bâtards voulaient la voler. Hram!’ Mon fils, sans pantalon, tremble de froid. Il demande une couverture. Réponse: ‘Ma kaynach’. J’essaie d’en ramener une, on me l’interdit.

On me dit qu’il n’a pas besoin d’opération, ni de plâtre: juste des bandages. Je file à la pharmacie de garde: 800 DH. Je ne saurai jamais ce qu’il en a fait. Quand je demande à voir le médecin: ‘Il verra ton fils demain, vers 11h, ‘la hassab’. Je supplie qu’on lui donne un calmant. Refus: ‘Seul le médecin peut’. À 5h du matin, on me met dehors. Devant les urgences, des familles dorment à même le sol, certaines cuisinent en plein jour.

À 11h, je retrouve mon fils, livide, toujours sans couverture, sans soin, les os encore visibles. Un agent de sécurité me dit: ‘Ramène-le ailleurs. Ici, ce sera dans 5 jours. Ils vont le tuer.’

L’employeur de mon fils débloque la situation: il envoie une ambulance qui nous transfère à la polyclinique de Derb Ghallef. Là, tout est impeccable. Les ambulanciers le manipulent avec précaution. Les agents de sécurité sont intègres. Les infirmiers refusent l’argent. Mon fils reçoit immédiatement des calmants, des soins au visage, puis une opération dès le lendemain: plaques et vis métalliques pour reconstruire son fémur.»

Alors, où situer la responsabilité? Certainement pas du côté de l’État, qui a doté le pays d’infrastructures modernes et de personnel rémunéré. Le problème, c’est un hôpital public réduit à une caserne de vigiles, déserté par les médecins et infirmiers de garde. Pourquoi la polyclinique privée assure-t-elle un service irréprochable, quand l’hôpital sombre dans le chaos? Faut-il vraiment placer un policier derrière chaque soignant pour qu’il fasse son devoir?

Ce qu’il manque, ce n’est pas l’argent ni les murs, mais la volonté, la conscience professionnelle, al imane. Les responsables doivent assumer: contrôler, sanctionner, écarter les défaillants. Car derrière chaque scandale hospitalier, ce sont des vies humaines qui se jouent.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 26/09/2025 à 10h58