Depuis quelques semaines, je n’arrive plus à regarder la télévision ni à lire la presse. Ce qui se passe à Gaza est un crève-cœur. La façon dont les journaux que je lisais d’habitude traitent de la situation au Proche-Orient est tellement inepte que je ne fais plus qu’y jeter un coup d’œil. Les débats sur les chaînes européennes sont tellement nuls que je «zappe» après quelques minutes. C’est pourquoi on ne traitera pas de sujets importants aujourd’hui, ni politique, ni philosophie. Je vais juste relater une anecdote qu’une amie -nommons-la Sanae- m’a raconté avant-hier du côté de Marrakech. Sanae, doctorante à Paris, était revenue voir ses vieux parents.
«À Paris, j’ai fait la connaissance d’un couple de Brésiliens -lui est mon collègue dans notre labo- qui m’ont invitée un samedi soir à une petite fête “pour me faire sortir de ma tanière”, selon Gustavo. Le jour dit, je monte à un 5ème sans ascenseur, je toque à l’huis, j’entre et je tombe sur une fête déjà bien avancée. Ça fume comme le Vésuve, ça boit comme à Gdansk, ça chante du Chico Buarque et du Gilberto Gil, on dirait que l’appartement tangue, tout baigne.
Sauf qu’il y a un hic: je ne bois pas et je mange strictement halal. La table, au centre de la pièce, déborde de charcuteries et de viandes diverses, c’est peut-être de la hure de tamanoir ou du gigot de tapir. Pas touche!
Vers 23 heures, je commençai à avoir sérieusement faim. Allais-je mourir d’inanition devant un buffet copieux? Heureusement, Gustavo revint à ce moment précis de la cuisine et déposa un plat de champignons sur la table. Je me jetai dessus comme la misère sur le pauvre monde, j’en enfouis deux dans mon gosier, je me bourrai de champignons, sous le regard étonné de quelques cariocas.
- Je suis végétarienne, balbutiai-je, en avalant force cogumelos -du moins croyais-je qu’il s’agissait de ça. Ils avaient un goût bizarre, mais quoi, j’avais les crocs. Et mieux vaut prétendre être végétarienne que parler de halal, au risque que les voisins appellent la police ou que CNews réclame mon expulsion de la douce France.
Puis la lumière s’éteignit, le monde disparut et soudain, je n’étais plus là.
Je me réveillai le lendemain dans ma chambre de bonne de Ménilmontant, de l’autre côté de Paris. Je portais encore mes vêtements de la veille -mais mon pull était à l’envers, mon soutien-gorge s’était évaporé et le reste à l’avenant, je ne vais pas te faire un dessin.
Paniquée, j’appelai Gustavo qui me rassura: Luana et lui m’avaient ramenée chez moi. Luana m’avait rhabillée -il semble que j’avais dansé en petite tenue sur la table. Tout le monde avait apprécié mes chansons de ‘aita braillées à tue-tête, ainsi que mes blagues salaces débitées en darija -les convives n’avait rien pigé, mais mon rire homérique était, paraît-il, contagieux. Et Gustavo de conclure:
- Ce qu’on n’a pas compris, c’est pourquoi tu t’étais bourrée de champignons hallucinogènes alors que tu avais le ventre creux.»
Hallucinogènes! Sanae, morose:
- J’étais morte de honte. La fille du respecté Haj T’hami ululant à moitié nue des refrains de cheikhates au cœur de Paris? Heureusement que personne ne m’a filmée, ce serait déjà sur TikTok et je n’aurais plus qu’à m’exiler en Sibérie.
Et de conclure:
- Il est temps de réfléchir sérieusement à cette question de halal. Si on était un peu moins bigot, si on était assez souple pour manger du tamanoir ou du tapir quand on ne peut pas faire autrement, on ne se retrouverait pas à gigoter en costume d’Ève devant des noceurs égrillards.
À transmettre à nos valeureux ‘oulama.