Elle vient d’être sacrée « Reine africaine des mathématiques ». Elle s’appelle Hiba El Ferchioui, est originaire de Biougra, dans la province de Chtouka Aït Baha et a dominé le tableau féminin aux Olympiades Panafricaines de Mathématiques qui se sont déroulées à Kigali avec la participation de 32 pays.
C’était en fait une belle consécration pour toute cette jeune équipe, réunissant des élèves de l’enseignement secondaire, qui ont brillé par leurs performances avec deux médailles d’or, trois d’argent et une de bronze, hissant le Maroc à la première place et maintenant sa position sur le continent pour la troisième fois consécutive.
Il faut dire, sans rien enlever à leur mérite évidement, que ce n’est pas la première fois que les étudiants marocains signent de brillantes participations lors de grand-messes scientifiques.
Ainsi en était-il aux 63e Olympiades internationales de mathématiques organisées en juillet 2022 à Oslo, où ils ont remporté quatre mentions honorables auprès de 589 jeunes de 104 pays, alors qu’aux Olympiades arabes tenues à Tunis, ils décrochaient quatre médailles, dont une en or.
Qu’on se souvienne aussi de ce titre du journal français Le Figaro, datant d’il y a près de deux ans et usant d’un qualificatif pour le moins surprenant: «Leur niveau en maths est incroyable: l’insolent succès des Marocains aux concours des écoles d’ingénieurs».
Entre parenthèses: le Maroc enregistre un des plus forts taux de femmes ingénieures au monde avec le chiffre de 42,2% selon le Rapport de l’Unesco sur la science publié en 2021, contre 19,7% pour le Canada à titre d’exemple, 16,1% pour la Suisse, 26,1% pour la France ou 20,4% pour les Etats-Unis.
S’il est avéré que la bosse des maths développée par le père de la phrénologie relève davantage de la fable que de la science, il n’en reste pas moins que d’innombrables prodiges ont trouvé, au Maroc, une terre de prédilection.
Dans ce carrefour de civilisations, plusieurs savants éminents ont apporté une contribution fondamentale à ce patrimoine scientifique universel, qu’il s’agisse des Nombres et d’arithmétique, d’algèbre ou de géométrie.
Parmi ces noms, au XIIe siècle, connu du monde lettré mais non suffisamment mis en avant auprès des profanes: le mathématicien et juriste, proche des califes almohades, Abd-Rahmane Ibn al-Yasamine.
Né à Fès, d’une origine berbère Fendalaoui, de la région d’El-Menzel près de Sefrou, formé à Séville où il a également enseigné, assassiné en 1204 à Marrakech, il est l’auteur de trois urjuza qui ont connu une grande diffusion en Orient et en Occident musulmans.
Poèmes mathématiques enseignés jusqu’au XIXe siècle, ils ont eu le mérite d’assurer un apprentissage et une mémorisation ludiques en matière d’algèbre, de racines carrées ou de méthode de la double fausse position.
Son ouvrage capital reste son traité d’algèbre en prose, intitulé «Talqīh al-afkār fī al-’amal bi rushūm hurūf al-ghubār (La fécondation des esprits dans l’utilisation des symboles des chiffres de poussière).
Adressé aux débutants, il porte notamment sur l’arithmétique des entiers, des fractions et des racines carrées et soutient la différence dans le graphisme entre les chiffres arabes orientaux (٠١٢٣٤٥٦٧٨٩) et occidentaux (0123456789).
Ces derniers sont les chiffres ghubar, mentionnés pour la première fois au IXe siècle et transmis ensuite à l’Europe où ils sont désignés «chiffres arabes».
Ils sont différenciés des «chiffres de Fès» (al-Qalam al-Fassi), qui sont dérivés eux-mêmes d’une pratique locale ancienne, que certains n’ont pas hésité à attribuer aux Grecs, à l’instar de l’orientaliste Georges Séraphin Colin.
Quoi qu’il en soit, c’est bien dans la ville de Fès, à l’université Qaraouiyine, qu’un certain moine aquitain, du nom de Gerbert d’Aurillac, aurait étudié avant d’être consacré pape de l’an mille sous le nom de Sylvestre II, tout en gardant pour la postérité son appellation de «Savant Gilbert ».
Et pour cause! Il était connu comme mathématicien et philosophe humaniste auquel certains attribuent l’introduction en Europe du système de numération décimale.
Autre nom, au XIIe siècle, d’un natif de Sebta: Abou-Bakr al-Hassar, une des plus anciennes références représentant la tradition mathématique de l’Occident musulman.
Il est l’inventeur de la fameuse barre des fractions séparant le numérateur et le dénominateur, avant qu’elle ne se retrouve pour la première fois en Europe chez le mathématicien italien Léonardo Fibonacci dans son Liber Abaci.
Son manuel didactique, «Kitāb al-bayân wa at-tidhkâr» (Livre de la démonstration et de la remémoration), considéré comme «le plus ancien ouvrage d’arithmétique arabe existant traitant des fractions», est traduit en Occident dès le XIIIe siècle, à Montpellier par le rabbin et exégète provençal, Moshe ibn Tibbon.
Toujours sous le règne de l’empire almohade, comment ne pas citer Ahmad Ibn Mun’im al-’Abdari, natif de Dénia en Espagne, établi à Marrakech, capitale de l’empire où il était réputé comme l’un des meilleurs spécialistes de son époque en géométrie et en théorie des nombres, tout en exerçant parallèlement la médecine.
Il est l’auteur de plusieurs écrits mathématiques dont le «Fiqh al-ĥisâb» (La Science du calcul) qui met en place un tableau, version du «triangle de Pascal», quatre siècles avant la naissance de Blaise Pascal.
Que dire d’Ibn al-Banna al-Marrakuchi, né en 1256 dans la cité ocre, auquel nous devons des découvertes de théories majeures en mathématiques développées dans les travaux des professeurs Ahmed Djebbar et Mohamed Aballagh.
Sa renommée était telle qu’il fut à l’origine d’une importante école de mathématiques à l’influence décisive où des savants, de différentes disciplines, profitaient de sa science et suivaient ses conférences.
Parmi eux: le Tlemcenien Mohamed al-Abili, un des maîtres d’Ibn Khaldoun, lequel a cité avec grand respect Ibn al-Banna dans sa Muqaddima.
De ses dizaines de traités et d’épitres pluridisciplinaires, malheureusement pour un bon nombre perdus, il subsiste, entre autres, son «Abrégé des Opérations du Calcul», contenant de précieuses théories mathématiques et algébriques et des formules arithmético-combinatoires.
Manuel incontournable dans les écoles du Maghreb entre le XIVe et le XVIe siècles, il a inspiré les travaux d’érudits postérieurs et a été l’objet de plusieurs commentaires.
Evoquons, à ce propos, celui du mathématicien Al-Qalaçádi, qui s’est illustré pour le développement du symbolisme algébrique.
Citons également le commentaire de son disciple Abd-el-Aziz al-Houari Misrati qui lui consacre un manuel d’accompagnement, appelé «Al-Loubab», dont des copies existent dans des bibliothèques renommées à travers le monde, que ce soit à Médine, à Istanbul, au Caire, à Téhéran ou à Oxford.
Quant à sa réception en Occident chrétien, l’ouvrage y est resté une référence dans le domaine des mathématiques jusqu’au XVIe siècle et a été traduit en plusieurs langues, notamment en français, en 1865, par l’érudit Aristide Marre, révélant par la même occasion la nature des emprunts et des plagiats effectués au cours des siècles.
La liste des mathématiciens marocains de renom est encore bien longue: Abderrahmane Lejjaï, maître en mathématiques du Constantinois Ibn Qunfudh ou du Tazi Ibn Haydur, Ibn Ghazi al-Othmani Meknassi, Ahmed Belqadi, Ali Dadsi, et bien d’autres encore.
Le trait saillant de leur biographie, c’est la maîtrise de différentes autres disciplines, autant en sciences physiques qu’en sciences humaines et sociales; signe de l’harmonie, sans hiérarchisation ni cloisonnement, entre les différentes sphères du savoir, à même de permettre de saisir la réalité dans ses différentes interactions.