Grande Mosquée de Paris: lieu de culte ou officine politique?

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueDepuis quand une mosquée a vocation à se transformer, tour à tour, en centre de promotion touristique, en canal d’introduction aux marchés économiques ou en succursale d’une représentation diplomatique?

Le 22/04/2023 à 12h05

Ambiance de dîner mondain, dans une remarquable mixité, loin de tout signe ostentatoire de religiosité, à part l’appellation «iftar» en ce mois sacré et à part le lieu de déroulement de la rencontre, qui est la Grande Mosquée de Paris au minaret depuis toujours muet.

Culture et tourisme étaient à l’honneur, ce samedi 15 avril, et pas n’importe lesquels, puisque la soirée était réservée à des personnalités franco-algériennes, dans le but de «favoriser la coopération entre l’Algérie et la France dans les domaines de la culture, de l’art, de l’architecture et du tourisme», selon les propos émis sur twitter par la journaliste Hana Ghezzar Bouakkaz, joignant quelques photos dont une arborant une magnifique longue robe à la couleur flamboyante.

Deux jours auparavant, dans ce même lieu, une rencontre similaire, alliant débat et rupture du jeûne, avait réuni le Club Algérie XXI (une association qui regroupe des cadres et des entrepreneurs issus de la communauté algérienne en France) et le recteur Chems-eddine Hafiz.

Ce même recteur, par ailleurs ancien avocat du front séparatiste Polisario, avait bien organisé dans ladite mosquée, pas plus tard que le mois de Ramadan de l’an dernier, une inédite rupture du jeûne à la sauce électorale, montant au pinacle Emmanuel Macron et appelant ses ouailles à voter pour lui au second tour de l’élection présidentielle!

Incroyable violation du principe de neutralité des lieux de culte, interdits formellement par la loi française d’organiser des réunions politiques ou de diffuser de la propagande électorale, et grave entorse au concept même de laïcité, si souvent brandi, sauf, manifestement, là où se trouvent de puissants intérêts!

La question qui se pose est: Sommes-nous toujours dans un édifice sacré et dans une maison de Dieu?

Depuis quand une mosquée a vocation à se transformer, tour à tour, en centre de promotion touristique, en canal d’introduction aux marchés économiques ou en succursale d’une représentation diplomatique servant la soupe aux propagandes politiques et aux marchands du temple, assurés d’en récolter de substantiels dividendes?

Par ailleurs, les mosquées en général ne sont-elles pas censées être destinées aux musulmans de toutes origines et nationalités, au-delà des nationalismes communautaristes ou bien, celle-ci en particulier, a été cédée en exclusivité au régime d’Alger ?

C’est d’autant plus saisissant que cette mosquée, symbole de l’islam de France, a vu la souscription des musulmans de tout l’empire colonial priés de verser leur obole, en plus d’autres subventions, souscriptions et dons à travers les territoires musulmans?

Une première mention de ce projet de mosquée figure dans le traité de paix et de commerce signé le 28 mai 1767 entre le souverain marocain Sidi Mohammed ben Abdallah et le roi Louis XV, prévoyant une mosquée «dans le pays de France», ainsi que l’affirment plusieurs auteurs tel l’historien et journaliste franco-algérien Sadek Sellam dans son ouvrage «La France et ses musulmans», ou encore l’avocat et homme politique Maurice Colrat, lors de la pose de la première pierre.

Conçue finalement en plein cœur de Paris, elle l’est officieusement pour des considérations géostratégiques, officiellement en hommage aux soldats musulmans tombés au champ d’honneur durant la Première guerre mondiale, estimés à plus de 73.000 tués entre 1914 et 1918.

Afin de contourner la loi de 1905 relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la Société des Habous des Lieux Saints de l’Islam, créée en 1917, s’est vu octroyer, en 1920, une subvention pour la construction de «l’Institut musulman de Paris» et confier, en 1921, la construction et l’administration, sous la présidence de Si Kaddour Benghabrit, ministre du Sultan Moulay Youssef, natif de Sidi Bel Abbès en Algérie et naturalisé marocain.

L’orientation du Mihrab en direction de la Mecque a lieu le 1er mars 1922 en présence du chambellan du roi du Maroc, Thami Ababou, et de l’astronome de Fès Ben Sayah.

La pose de la première pierre réunit pour sa part, le 19 octobre 1922, entre autres personnalités présentes, le grand vizir El Mokri qui donna le premier coup de pioche et le résident général au Maroc Hubert Lyautey, avant l’inauguration en grande pompe, le 15 juillet 1926, par les deux chefs d’Etat, le sultan Moulay Youssef et le président Gaston Doumergue.

Les contenus des archives révèlent à tous les niveaux le rôle fondamental du Maroc dans la conception, la réalisation et la direction spirituelle, sous l’égide du sultan qui y a présidé la première prière du vendredi, alors que le premier imam et prédicateur était le théologien marocain Hajj Ahmed Skirej Tijani.

Les témoignages encore vivants pour la postérité indiquent, en outre, les convergences architecturales et artistiques avec les joyaux du genre au Maroc et la contribution exceptionnelle des artisans du royaume, évalués à environ 450 personnes auxquelles la Mosquée de Paris doit une fière chandelle. «Les meilleurs artisans marocains assurent l’ornementation des monumentales portes de cèdre, la décoration des carreaux de revêtement mural et posent les mosaïques de pavement», souligne l’historien et géopolitologue Pascal Le Pautremat.

«Les tuiles et les zelliges proviennent de Fès […], des artisans de Meknès et de Fès ont fait toutes les décorations», lit-on par ailleurs dans une note datant de 1927, relative au budget de la Mosquée de Paris, envoyée par Benghabrit au ministre des Affaires Étrangères et citée par le sociologue et historien des migrations Elkbir Atouf. «Sans compter, poursuit ce dernier, ″les 23.802 kg de carreaux de Faïences de (Fès) provenant du Pavillon du Maroc″. Ajoutons à cela ″les tapis au nombre de 54, représentant une superficie de 528 mètres carrés et une valeur de 79.594 francs (...), qui sont un don personnel du Sultan du Maroc à la Mosquée de Paris».

La liste est longue…

En 1957, le successeur et neveu du premier recteur Si Kaddour Ben Ghabrit n’était pas en odeur de sainteté auprès du gouvernement français: «Il était, affirme Bernard Godard, proche du Maroc, qui à cette époque était considéré comme un pays hostile soutenant le Front de libération nationale (FLN) en Algérie»; le choix du président du Conseil, Guy Mollet, se porte sur Hamza Boubakeur, acquis à la France.

La suite on la connaît, de même que la collusion tonitruante d’intérêts, poussant l’ignominie jusqu’à écarter le Maroc de la célébration du centenaire de la pose de la première pierre de la Grande Mosquée de Paris (Merci à Macron aussi!), dans ce qui a été qualifié d’ «expropriation morale» à laquelle s’ajoutent une appropriation culturelle, une réécriture de l’histoire et une offense à l’encontre des musulmans de France qu’elle a cessé depuis un temps de représenter de manière juste, égale et fraternelle.

«La vanité ne sied pas bien avec la piété!» disait Molière dans son Tartuffe ou L’imposteur!

Par Mouna Hachim
Le 22/04/2023 à 12h05