Cela fait un moment qu’on nous parle d’incivisme. Même si le Mondial 2030 est encore loin, la multiplication des chantiers et des projets dits structurants est déjà là. Tout cela nous travaille, parfois inconsciemment. Au milieu, forcément, se glisse un projet vieux comme le monde et qui revient comme un serpent de mer: et l’incivisme, alors, qu’en fait-on, quand est-ce qu’on se lèvera pour le combattre?
C’est dommage que ce projet réellement structurant n’apparaisse que d’une manière sporadique, quand il est question d’accueillir des populations venues d’ailleurs, et surtout de ce monde qu’on appelle riche (ou civilisé). Comme si l’incivisme n’était un problème que lorsqu’on est confrontés aux autres, à leur regard et forcément à leur jugement.
Nous sommes comme une famille marocaine qui s’apprête à recevoir des invités de marque: on chasse la poussière et on ressort la meilleure vaisselle, tout cela pour être à la hauteur et pour que les autres n’aillent pas croire que…
Un promoteur immobilier m’avait répondu, alors que je lui faisais remarquer que toutes les pièces de son appartement modèle sont étriquées et que le salon occupait tout l’espace ou presque: «Mais c’est les acheteurs potentiels qui misent tout sur le salon, pour recevoir. Tu ne comprends pas, tu n’es pas Marocain?».
Revenons à l’incivisme dont on se soucie tant à l’approche du Mondial. De quoi s’agit-il? De quoi parle-t-on au juste?
Le chantier est vaste, comme on peut l’imaginer. Mais il y a toujours un commencement. L’homme. Le Marocain. L’idée est de gommer ou de réduire ce qu’on appelle, cyniquement, les défauts de fabrication. Certains sont d’ordre culturel, mais la majorité est liée à des réflexes de conditionnement.
«Passons aussi sur la manie de harceler les jolies femmes dans la rue. C’est un mal dont souffre l’ensemble de la rue arabe, du Maroc à l’Arabie saoudite en passant par l’Egypte. Problème d’éducation»
On ne va pas parler de la petite corruption, tellement courante qu’elle est devenue quasi-naturelle: on glisse un petit billet pour un petit service parce qu’on considère que le fonctionnaire ou l’employé en face n’a pas un bon salaire, et que le seul moyen de le motiver est de le soudoyer. Histoire, sans doute, de lui rendre le sourire.
Passons aussi sur la manie de harceler les jolies femmes dans la rue. C’est un mal dont souffre l’ensemble de la rue arabe, du Maroc à l’Arabie saoudite en passant par l’Égypte. Problème d’éducation. «Elles (les filles) n’ont qu’à se couvrir davantage, à se faire moins belles, ou à ne pas mettre le nez dehors»: voilà ce que les harceleurs répondent, en s’appuyant même sur des soi-disant référentiels religieux, et sans jamais se remettre en cause. Mais bien sûr!
Il reste tout le reste, comme on dit. Pour chaque «incivilité», la justification est toute faite. Jeter les ordures ou faire ses besoins dans la rue: «Mais elles sont où les poubelles ou les toilettes publiques?». Se faufiler entre les voitures: «Tu ne connais pas l’état de nos trottoirs?». Monter dans un bus ou un tram avant que les occupants n’en sortent: «Mais on risque de ne jamais monter». Ne pas faire la queue: «Mais notre tour ne viendra jamais». Polluer les plages: «Mais tu as vu une plage marocaine avec des toilettes et des poubelles?». Frapper un chat ou un chien errant: «Mais tu ne sais pas qu’ils causent des accidents et trainent des maladies?».
On peut continuer ainsi, la liste est longue. Laissez-moi raconter une anecdote, pour conclure ce joyeux tour d’horizon: un jour, dans une rue européenne, j’ai vu un adulte frapper un enfant. Tout de suite, des passants se sont interposés, l’un d’eux a placé l’enfant sous sa protection, un autre s’est emparé de l’adulte pour l’empêcher de bouger, et un troisième a pris son téléphone pour appeler, sans doute, les services de police ou d’aide sociale.
Au Maroc, vous le savez très bien, la même scène aurait provoqué un haussement des épaules. Pour les passants, ce n’est qu’un père qui corrige (qui «éduque») son enfant. On passe son chemin, RAS comme on dit.





