Chaque année, des milliers de Marocains résidant à l’étranger reviennent au pays pour raviver ce lien précieux avec leurs racines. Le Maroc, pour ses enfants de la diaspora, reste une terre d’attachement solide: la famille, les amis, les traditions, la culture, les festivités, les moussems ou mouggar, la langue… tout appelle au retour, même temporaire. Ce retour n’est pas seulement un voyage. C’est un acte affectif, identitaire, souvent sacré.
Mais aujourd’hui, cette tradition est mise à rude épreuve. Les prix des billets d’avion atteignent des sommets inaccessibles. Une situation qui fait naître un sentiment d’injustice et de frustration profonde, surtout chez les jeunes générations.
C’est le cas du Canada. Pour un vol aller-retour entre Montréal et Casablanca, en été, les tarifs les plus bas frôlent les 16.000 dirhams. Si l’on s’y prend bien à l’avance. Pour une famille de quatre personnes, cela représente 64.000 dirhams. Et si l’on parle de la haute saison, en juillet et août, les prix peuvent grimper jusqu’à 20.000 dirhams par personne, soit 80.000 dirhams pour une famille.
Et ce n’est pas tout. Une famille vivant à Québec, à Ottawa ou dans une autre ville éloignée de Montréal doit encore ajouter le coût du transport interne, billets d’avion, train ou bus pour rejoindre l’aéroport. À cela s’ajoutent, une fois au Maroc, les dépenses habituelles des vacances: déplacements, cadeaux aux proches, aide familiale, loisirs... autant de charges incontournables pour une communauté profondément solidaire et généreuse.
À chacun de mes séjours à Québec, les familles abordent avec moi ce sujet, douloureux. Des familles qui se sentent exclues, abandonnées, oubliées. Beaucoup me demandent de dénoncer ce phénomène devenu insupportable. Ce qui inquiète le plus? C’est le risque de rupture entre les jeunes générations et leur pays d’origine, une rupture déjà en marche. De trop nombreux parents font le choix difficile de rentrer au bled, mais sans leurs enfants, afin de minimiser les frais du transport.
Les jeunes couples n’ont souvent pas les moyens d’épargner les sommes nécessaires au retour au bled. Dépenser chacun 15.000 à 20.000 dirhams pour un billet d’avion alors qu’avec cette somme ils pourraient s’offrir une semaine, tout frais compris, dans une île paradisiaque, est perçu comme une injustice économique. Et ce choix, rationnel et compréhensible, menace progressivement le lien avec le Maroc.
Un autre aspect des plus angoissants est l’impossibilité, pour beaucoup, de rentrer en urgence en cas de maladie grave ou de décès d’un parent. Dans ces cas-là, les billets d’avion, achetés à la dernière minute, atteignent des prix invraisemblables. Ces moments deviennent encore plus douloureux quand ils sont vécus à distance, faute de moyens pour rentrer. Acheter un billet d’avion au prix fort, par nécessité, perturbe considérablement le budget familial.
De nombreuses personnes parmi cette population me confient leur angoisse à l’idée de devoir rentrer précipitamment au chevet d’un parent.
Il s’agit là d’un enjeu économique et moral, car n’oublions pas que les transferts de fonds des MRE représentent l’une des principales sources de devises pour le Maroc. Cette population à l’étranger, travailleuse, souvent en situation précaire ou à peine stable, continue de soutenir son pays à distance, parfois au prix de sacrifices personnels immenses.
Le Maroc a une responsabilité morale et politique envers ses ressortissants à l’étranger. Il l’a prouvé en améliorant les conditions d’accueil de Marocains d’Europe. Les campagnes Marhaba en sont une preuve.
Permettre aux Marocains du Canada de rentrer au pays, régulièrement, grâce à un coût raisonnable, c’est préserver un lien vital pour l’identité nationale, la solidarité familiale et même l’économie.
Parmi les solutions qui existent, c’est l’ouverture du ciel à la concurrence, des partenariats avec des compagnies low-cost longue distance, surtout des packages familiaux... Et certainement d’autres solutions que je suis incapable de proposer. Je suis certaine qu’avec de la bonne volonté, les responsables en trouveront.
Car si rien n’est fait, le pays court le risque de voir toute une génération s’éloigner, peu à peu, de son origine. Pas par rejet, mais par contrainte économique. Les pouvoirs publics devraient entendre, avec plus d’attention, les appels de ces familles, que ce soit à Montréal, Toronto ou autres.
Ce n’est pas simplement une question de billets d’avion. C’est une question de lien, de mémoire, et d’appartenance.





