Périple en Méditerranée, de Saïdia à Belyounech

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueMa destination du jour se porte sur quelques points de notre littoral méditerranéen, aux plages époustouflantes avec leurs eaux turquoise bordées souvent de saisissants reliefs montagneux…

Le 12/08/2023 à 11h00

J’attends avec impatience la rentrée pour «sortir»; mais il reste le voyage de l’esprit, transcendant les aléas de l’été, autant que les désagréments persistants pendant les quatre saisons: lieux de villégiature bondés, invasion de loueurs de parasols ou de chaises et de tables en plastique multicolores sans l’once d’un alignement qui respecterait les normes, appât du gain et autres hausses stratosphériques des prix…

Pour la sérénité de l’âme, je m’efforce en vacances, quelle que soit la destination, de viser la beauté, sans que cela n’occulte totalement les dysfonctionnements dont la dénaturation de sites qui pourraient être des fleurons inestimables s’ils n’étaient défigurés par quelques marques d’incivilités, par l’anarchie de gestion et par le règne du béton.

Positivons!

Ma destination du jour se porte sur quelques points de notre littoral méditerranéen, aux plages époustouflantes avec leurs eaux turquoise bordées souvent de saisissants reliefs montagneux.

Que l’embarras du choix depuis Saïdia, le médiéval port d’Ajroud, tel que mentionné au XIIe siècle par le géographe andalou al-Bakri!

C’est là, à l’embouchure d’Oued Kiss, que le sultan Moulay Hassan 1er avait fait construire, en 1883, une kasbah marquant les limites territoriales, assurant un rôle de surveillance et contrant toute velléité d’expansion française.

Toutes ces belles étendues de plage ne pouvaient manquer d’éveiller le projet d’aménagement d’une station balnéaire dès 1930.

Mais c’est surtout en 2001, dans le cadre du Plan Azur, que la nouvelle station balnéaire de Saïdia fut lancée, surnommée «la Perle bleue», appelée à servir de moteur de croissance pour la région et à générer des emplois, mais restant toutefois touchée par la problématique de la saisonnalité qui la rend déserte la majeure partie de l’année.

Et là, nous sommes plutôt en pleine haute saison!

Nous reprenons notre trip avec une escale à Ras el Ma (Cabo del Agua), identifié par l’archéologue Charles Tissot au Metagonium des géographes de l’Antiquité, appelé aussi Ras Kebdana, en référence aux Ikebdanen du clan des Zenata; tandis qu’à près de trois kilomètres au large, nous contemplent les îles Kebdana, dites aussi Zaffarines, assimilées à la station Ad tres insulas de l’Itinéraire d’Antonin.

Bercés par les flux de la mémoire, nous nous laissons emporter par cette errance le long de la Méditerranée, faisant une halte sur une plage d’un accès tortueux, entourée de falaises, non loin de Tmadet Sidi El Bachir, appelée ainsi probablement en souvenir du caïd Hajj Mohamed ben Bachir, nommé en 1874 gouverneur d’Oujda et des Aït Iznassen.

Impossible de résister aux plages sauvages couvertes de coquillages aux environs de Kariat Arekmane, non plus qu’à la Sebkha de Bou-Areg, plus connue sous le nom de Lagune de Marchica, près de Nador, attirant dans son parc ornithologique, né de la requalification d’anciens bassins d’assainissement depuis le lancement du projet d’aménagement du site en 2008, des dizaines d’espèces d’oiseaux migrateurs et sédentaires.

Etalée sur une superficie de 115 km2, elle est considérée comme une des lagunes les plus importantes du pourtour méditerranéen, formée, selon les récits des anciens, lorsque la mer, avant son retrait, couvrait les plaines, épargnant juste les cimes des montagnes.

Plus au nord, nous sommes happés par l’appel discret de l’authentique village de pêcheurs de Tibouda qui nous mène jusqu’au Cap des Trois Fourches, puissant promontoire engagé profondément en mer, jadis redouté des marins, caractérisé par ses versants abrupts, ses falaises verticales creusées de grottes.

Tant de curiosités géologiques et de richesses faunistiques, ajoutées à son phare, toujours opérationnel depuis sa mise en service en 1909!

Sourire aux lèvres en vue de la prochaine découverte: Hamat Chaâbi, source thermale d’eau chaude, formant un bassin naturel au pied d’une falaise dans les environs de Driouch dont l’accès est possible via des escaliers sculptés dans la roche.

Ce ne sont que successions de criques et de plages époustouflantes, de Sidi Hossein à Sidi Driss.

Puis, c’est la rencontre avec le golfe d’Al hoceima, une région plongée dans une longue histoire en tant que cœur de l’émirat de Nekour fondé au début du VIIe siècle, connue aussi pour son eau cristalline et ses plages interminables appréciées par les amateurs de sports nautiques ou de plongée sous-marine: Rhach, Souani, Sfiha, Isly, Maktoaa, Quemado, Thara Youssef, Bousekour, port de Kert décrit par al-Idrissi…

Quand on aime l’histoire, on ne peut s’empêcher de se remémorer le rôle joué par certains centres urbains tombés depuis dans l’oubli sous les contrecoups de l’occupation ibère à partir du XVe siècle, conduisant à leur dépeuplement et à la perte de leur envergure.

Tel est le cas de Badès fondé, selon l’historien Zayani, par le chef de la tribu Louata, devenu un port important au Moyen Âge, fréquenté depuis le XIVe siècle par des navires commerciaux européens en provenance de Pise, de Gênes, de Venise ou de Marseille.

Il joua aussi un rôle prééminent sur le plan mystique depuis le début du XIIIe siècle avant de s’illustrer dans le jihad maritime avec l’avancée de la Reconquista.

Sa petite île contiguë, Hajarat Badis, qui était reliée à la ville par une allée de sable, est occupée depuis 1564 par les Espagnols qui l’ont baptisée Penon de Velez de la Gomera, soit Rocher de Badès des Ghomara.

Si Stehat, aujourd’hui petite station balnéaire adossée à la montagne, pouvait à son tour parler, elle raconterait des pans remarquables de l’histoire!

Appelée anciennement Tiguisas, elle figure parmi les possessions attribuées au IXe siècle en apanage à Omar fils d’Idris II et fut détruite au XVe siècle par les Ibères, avec pour vestiges subsistant de la ville médiévale, un fossé et des structures de murs rasés, visibles sur le sommet des deux collines dominant le littoral.

Que dire de Belyounech, identifiée à l’Exilissa de Ptolemée, située sur les pentes du jbel Moussa, à environ 7 km à l’ouest de Sebta dont l’histoire est étroitement liée.

La légende en fait le domaine de la nymphe Calypso, fille d’Atlas, reine de la mystérieuse île d’Ogygie -dont d’autres lieux revendiquent la paternité- accueillant, pendant sept années, Ulysse après son naufrage, comme le raconte Homère dans son Odyssée.

Réputée pour sa fabuleuse beauté, entre mer, montagne, sources d’eau vive jaillissant des contreforts, luxuriants vergers, bons pâturages, Belyounech est décrite comme un paradis sur terre par le vizir et historien grenadin Ibn al-Khatib et par le jurisconsulte de Sebta et poète Cadi Ayyad; de même qu’elle est vantée par un ensemble de voyageurs et d’érudits à travers les siècles.

Tel un joyau dans son écrin, elle s’est imposée comme espace de villégiature pour l’aristocratie citadine, à tel point que le maître de Cordoue Almanzor lui-même y avait édifié un palais orné de jardins.

Ses vocations de lieu de plaisance -ajoutées à son activité portuaire et à la richesse de ses ressources agricoles avec ses fruits, sa canne à sucre, son corail, ainsi que son alimentation de Sebta en eau à travers un conduit souterrain ordonné en 1184 par l’Almohade Yaâqoub Mansour- se confirment avec ses muniyas mérinides.

Sans oublier ses bastions, ses portails, son château d’eau, ses mosquées, ses hammams qui se chiffraient à cent vingt avant la conquête portugaise de Sebta en 1415, rompant l’équilibre qu’entretenait Belyounech avec la cité voisine qu’elle continua à l’alimenter en eau vive…

Germain Ayache écrivait à ce propos: «Vivant de Beliounech, Ceuta, jadis, la faisait vivre. Elle n’en vit aujourd’hui, qu’en la faisant périr.»…

Par Mouna Hachim
Le 12/08/2023 à 11h00