Né en France en 2017, pour permettre aux consommateurs de visualiser simplement et rapidement la qualité nutritionnelle des produits alimentaires, le Nutri-score offre un étiquetage censé éclairer les choix au moment de leur acte d’achat, selon une classification des produits: un algorithme se fondant sur la quantification des nutriments qui le composent permet d’attribuer son index à un aliment ou une boisson. Le logo multicolore du Nutri-score, allant du vert foncé à l’orange foncé, auquel correspond un classement du «A» au «E», est devenu familier des consommateurs. Selon un premier bilan à 3 ans, publié en 2021, le dispositif était identifié par 93% des consommateurs, un tiers des Français interrogés le jugent déterminant dans leurs achats.
Si l’adoption du Nutri-score reste facultatif pour les industriels, son développement rapide s’explique d’abord par l’adhésion des consommateurs. Quand plus de 50% admettent avoir modifié leurs habitudes de consommation en fonction de la note des produits, l’industrie agro-alimentaire est forcément incitée à adhérer à ce système de notation qui, depuis, a traversé les frontières au point d’être aujourd’hui la norme de huit pays européens. Belgique, Suisse, Allemagne, Espagne, Pays-Bas et Luxembourg y avaient recours début 2024, et le Portugal les a rejoints au printemps. Tous ont choisi de créer une gouvernance transnationale du Nutri-Score. Jusqu’à devenir la norme européenne?
En 2020, la Commission européenne s’est engagée à adopter un logo nutritionnel harmonisé à deux ans, sans en privilégier un parmi les différents modèles coexistant sur le continent, avec un double objectif: encourager un régime alimentaire plus sain pour les Européens et faciliter le fonctionnement du marché intérieur. S’en est suivi un des plus savoureux exemples de lobbying de la mandature, une coalition essentiellement menée par l’Italie, mais rencontrant un certain écho en Europe centrale, et reprochant au Nutri-score de menacer, en vrac, les traditions alimentaires locales, le régime méditerranéen, les produits AOP/IGP… À tel point qu’à l’approche des élections européennes, la Commission a prudemment remisé le dossier!
Quant aux restes de cette bataille en cuisines bruxelloises? Une somme de publications sur le Nutri-score et ses vertus dans la lutte contre les maladies non transmissibles (diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers… responsables de près de 75% des décès dans la région européenne de l’OMS), et parmi les derniers travaux, les conclusions d’une étude de 2023 comparant l’impact des 4 labels nutritionnels européens. Y sont confirmés la supériorité du Nutri-score, son rôle dans les politiques de santé publique (il devrait permettre d’éviter au total près de deux millions de cas de maladies non transmissibles entre 2023 et 2050), mais aussi ses bénéfices économiques. Il est projeté qu’il devrait réduire les dépenses annuelles de santé de 0,05 %. Tout comme, en agissant sur la santé et donc potentiellement sur l’emploi et la productivité du travail, le Nutri-score -surpassant les autres labels- procure un gain annuel estimé par les chercheurs à 10,6 travailleurs équivalents temps plein pour 100.000 personnes en âge de travailler dans les pays de l’UE.
Dans le même temps, au Maroc, où 80% des décès sont attribués aux maladies non transmissibles, et que, selon un récent rapport de Mc Kinsey, l’obésité́ seule engendre une charge économique de 24 milliards de dirhams par an, une étude audacieuse visant à choisir un logo nutritionnel était menée dans la cadre de la mise en œuvre du Programme national de nutrition, en harmonie avec la stratégie de prévention des maladies non transmissibles (2019-2029) du ministère de la Santé, selon les principes rappelés par l’un de ses auteurs, Dr Amina El Hajjab, éminente experte en nutrition: «Le choix d’un logo nutritionnel pour le Maroc doit impérativement reposer sur des fondements scientifiques, et la décision politique en matière de santé publique doit placer la santé des consommateurs comme objectif prioritaire de toute mesure de cette nature».
À l’issue d’une recherche portant tant sur des bases scientifiques que sur un sondage mené en ligne et dans les lieux de vente, des grandes surfaces urbaines aux points de vente des zones rurales, le Nutri-score s’est imposé comme le plus efficace et le plus populaire des cinq étiquetages nutritionnels comparés, choisi par plus des deux tiers de la population sondée. Sur cette base, en concertation avec les parties prenantes -organisations professionnelles, industriels et distributeurs- le Maroc s’achemine vers un Nutri-score partageant le même algorithme que les Européens, et fonctionnant sur la même base de volontariat pour les entreprises souhaitant adhérer au label, la seule adaptation au contexte marocain résidant en l’ajout d’étoiles, aux lettres et couleurs du logo apposé sur les produits, pour s’assurer une compréhension facile et rapide par tous, et le plus large accueil.
Gageons de voir naître un outil de santé publique commun au Maroc et à ses voisins européens, avant même que Bruxelles ne remette l’étiquetage nutritionnel harmonisé à l’agenda de la législature.