Du haut du cap Malabata à Tanger, sous un ciel radieux, l’Ivoirien Hassana et le Malien Moussa scrutent l’horizon en montrant du doigt le point où se confondent le bleu turquoise de la Méditerranée et celui azuréen du ciel. Ce point, c’est Tarifa, ville espagnole séparant seulement de 15 km l’Europe de l’Afrique, dans le détroit de Gibraltar. Les deux hommes rêvent d’y aller, quel que soit le prix à payer.
"Je suis arrivé au Maroc il y a deux ans au terme d’un pénible voyage à travers le désert algérien. C’est le passage obligé pour des milliers de clandestins", a déclaré à Le360 Hassana K. qui partage sa vie entre les rues de Tanger le jour, et la forêt diplomatique surplombant la ville du détroit le soir. Il a fui la guerre, la pauvreté, les maladies et, surtout, les incertitudes.
«“ J’avais donné tout mon argent à des trafiquants d’êtres humains, mais j'ai finalement réussi grâce à Dieu “»
Moussa, contrairement à son ami ivoirien, n’a pas encore essayé la traversée à bord d’une patéra pour rejoindre les côtes espagnoles mais pense à aller, dans les semaines à venir, se réfugier dans les zones forestières proches de Sebta.
Portant un bébé sur le dos, la Guinéenne Habibatou, pour sa part, mendie dans les grandes artères de Tanger, notamment sur la célèbre place des Magasines qui domine la baie tangéroise, via une vue panoramique. "Mon mari a réussi la traversée, mais il n’a pas encore reçu ses papiers; le jour où il les obtiendra, je le rejoindrai en compagnie de mon gosse", assure-t-elle, refusant toutefois de préciser le montant du gain qu’elle tire chaque jour de la mendicité.
Les cas de Hassana, Moussa et Habibatou sont analogues à ceux d'environs 15.000 clandestins sub-sahariens qui vivent au Maroc, selon des estimations concordantes. Tous arrivent ici via le sud algérien dans l’espoir de regagner l’Europe, sans que la grave crise qui frappe le vieux continent ne parvienne à les en dissuader. Ils attendent de meilleurs moments pour passer de l’autre côté européen, soit par la mer soit en escaladant les hauts grillages érigés par les Espagnols pour "défendre" Sebta et Melilla. Une fois sur le sol espagnol, les immigrés sont nourris et logés dans des centres sociaux appelés SITI avant de regagner la "terre ferme", papiers en poche.
A Sebta, Le360 a rencontré Keïta, un ressortissant du Bénin là depuis seulement deux mois. Le week-end, il se transforme en gardien de voitures. "Je suis rentré à Sebta par la mer, longeant la côte en chambre à air. C’était mon unique et ultime chance car tout mon argent, je l’avais donné sans succès à des trafiquants d’êtres humains. J’ai finalement réussi grâce à Dieu", a-t-il affirmé sourire aux lèvres.
Baisse de 90% du flux migratoire
Une source gouvernementale a rappelé que le Maroc, après avoir été une zone de transit pour les clandestins, est dernièrement devenu une terre d’accueil. Sa frontière maritime avec l’Espagne est devenue pratiquement infranchissable, et ce malgré "l’absence de coopération" du voisin algérien qui maintient une frontière poreuse dans ce domaine, nous fait remarquer une source sécuritaire.
«“ L’immigration clandestine a considérablement baissé grâce à la prévention “»
"En 2012, le nombre d'arrivées d’immigrés illégaux en Espagne a chuté de 76% par rapport à l’année précédente et le flux migratoire du Maroc vers l’Espagne entre 2003 et 2013 a baissé de 90%", a déclaré à Le360 le directeur de la migration et de la surveillance des territoires au Maroc, Khalid Zérouali. "Le nombre de Marocains candidats à l’immigration clandestine a considérablement baissé, notamment grâce à la prévention", a ajouté ce responsable du ministère de l’Intérieur.
"On a enregistré une baisse considérable des migrants nationaux grâce, poursuit-il, à des actions de développement locales et notamment au programme d'Initiative nationale de développement humain (INDH). Ces actions ont eu un impact sur la sédentarisation des jeunes candidats. Par le passé, on était confronté à un nombre élevé de candidats marocains à l’immigration clandestine; aujourd’hui, c’est l’inverse. Ce sont les étrangers qui forment les gros contingents", déclare le responsable. En matière de migration, précise encore Zérouali, la stratégie nationale s’articule autour de trois axes : la "prévention, la lutte acharnée contre les réseaux de trafiquants d’êtres humains et la protection des migrants, notamment en matière de droit d’asile".