#Metoouniv: après la prise de conscience, la fin de l’impunité!

Cours en amphithéâtre dans une université.

Cours en amphithéâtre dans une université. . DR

L’affaire de harcèlement sexuel qui secoue l’université de Settat depuis septembre 2021 a permis aux langues de se délier dans d’autres établissements. La parole se libère et l’appareil judiciaire joue, enfin, son rôle. L’ère de l’impunité pour les enseignants harceleurs semble révolue.

Le 06/01/2022 à 13h04

Depuis que cinq professeurs de l’université Hassan Ier de Settat ont été incriminés pour avoir tenté d’imposer à leurs étudiantes des faveurs sexuelles en échange de bonnes notes et ont été traduits en justice en décembre, la parole des étudiantes marocaines, victimes de ce type de pratiques, s’est enfin libérée et s’étale désormais sur les réseaux sociaux sous la bannière des hashtags #metoouniv et #zero_tolerance.

On peut reprocher aux réseaux sociaux beaucoup de choses mais une chose est sûre, ceux-ci ont fortement contribué à libérer la parole des victimes à travers le monde et récemment au Maroc, où on saute enfin le pas en adoptant cette catharsis 2.0.

Face à cette déferlante qui inonde aujourd’hui la Toile marocaine à coups de témoignages plus choquants les uns que les autres, la dénonciation du chantage sexuel communément pratiqué –se rend-on compte aujourd’hui– au sein des facultés marocaines n’est cette fois-ci pas retombée comme un soufflé, comme c’était le cas jusqu’à présent. Il y aura désormais un avant et un après Settat…

En témoignent la longue série de scandales du même acabit qui avaient entaché ces dernières années la réputation de plusieurs universités à Rabat, Mohammedia, Tétouan ou encore Meknès. Ces scandales sont pourtant restées sans suite, enracinant l’idée de l’impunité des enseignants harceleurs dans les universités marocaines. Face au laxisme de l’administration, les langues peinaient à se délier par peur de représailles des maîtres-chanteurs ou du jugement de la société et de l’entourage familial… Autant de bonnes raisons de ne pas faire de vagues et de se taire, subir, ou parfois aussi, de guerre lasse, mettre un terme à ses études.

Alors qu’est-ce qui a changé? Comment et pourquoi ces jeunes femmes ont-elles décidé de parler et de faire porter leur voix à l’unisson? La justice, tout simplement.

L’heure des passe-droits enfin révolue!Quelques jours à peine après le début du procès des cinq professeurs de l’université de Hassan Ier de Settat début décembre, c’est une autre affaire de chantage sexuel qui fait son apparition, cette fois-ci à l’ENCG Oujda. Ici aussi, même procédé, avec, cette fois-ci, encore un professeur qui négocie des faveurs sexuelles en échange de bonnes notes. L’affaire éclate le 29 décembre lorsque l’une des victimes de ce prédateur, après avoir quitté l’établissement, décide de rendre publics les messages échangés avec son maître-chanteur. Contre toute attente, la voix de l’étudiante est bientôt rejointe par de nombreuses autres, toutes victimes du même procédé. Attouchements, chantage et harcèlement… A Settat comme à Oujda, l’impunité dont se targuent les harceleurs prévaut et éclabousse par la même occasion l’intégrité de l’administration.

Mais, jamais deux sans trois, et à la même période, c’est au tour de l’école supérieure Roi Fahd de traduction à Tanger d’être à son tour sous le feu des projecteurs avec là aussi une affaire de harcèlement sexuel. Le 23 décembre, douze élèves, une victime et onze témoins, ont déposé une plainte auprès du Ministère public contre un professeur harceleur. Celui-ci a été démis de ses fonctions par la direction de l’établissement, et placé en garde à vue le 5 janvier. Inculpé pour harcèlement et chantage sexuel, celui-ci devrait comparaître devant le procureur du Roi près la cour d'appel de la ville, en ce jeudi 6 janvier, dès la fin de l'enquête préliminaire menée par les services préfectoraux de la police judiciaire de Tanger.

Confrontées à ces trois affaires qui laissent entrevoir un phénomène d’une grande ampleur, les autorités ont réagi avec fermeté en s’attaquant à la racine du mal, le rôle joué (ou non) dans ces affaires par l’administration universitaire, et l’omerta qui règne au sein du corps professoral.

Car si traduire en justice ces criminels est en soit une grande avancée pour les victimes et pour la justice marocaine, se résoudre à faire face au vrai problème en s’attaquant à l’administration même de l’université, c’est accepter que rien ne changera, si on ne déboulonne pas un système corrompu et confortablement installé dans ses prérogatives. C’est donc un pas de géant que l’on franchit aujourd’hui, un signal fort qui témoigne de l’intransigeance dont font désormais preuve les autorités face à un fléau jusqu’à présent tapi dans l’ombre de la Hchouma.

La désacralisation de l’institution universitaire, un signe de bonne santéNul n’est censé ignorer la loi, c’est le message adressé aujourd’hui par les autorités marocaines. Suite au scandale de l’université Hassan Ier de Settat face auquel le ministère de l’enseignement supérieur a agi de concert avec la police et les autorités judiciaires, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a fait passer le nouveau mot d’ordre au sein des universités: tolérance zéro.

Les résultats de l’enquête diligentée à l’ENCG Oujda par une commission de l’inspection générale dépêchée sur place n’ont d’ailleurs pas tardé à tomber et les têtes des responsables avec.

Le professeur a été suspendu, en attendant son passage devant un conseil de discipline et jusqu’au directeur, la directrice adjointe, ainsi que le secrétaire général de l’établissement qui ont été démis de leurs fonctions, l’enquête ayant fait état de leur connaissance des agissements du professeur.

Autre mesure prise par le ministère, et non des moindres, la création d’un numéro vert au sein des universités pour les étudiantes ainsi que la mise en place de cellules d’écoute. Une manière de prendre le relais des réseaux sociaux en donnant officiellement le droit à la parole aux victimes et de s’associer ainsi au travail entrepris par la société civile, le mouvement des Moroccan Outlaws en tête, lequel est à l’origine de la diffusion des messages des victimes de l’ENCG Oujda et de la création des hashtags #Metoouniv et #zero_tolérance.

Une prise de conscience salutaireL’instauration de ces nouvelles mesures sonne ainsi le glas de l’impunité du corps professoral et de la complicité d’une administration tentée d’étouffer dans l’œuf les scandales par peur de ternir son image.

Mais au-delà même de l’échelle universitaire, ce que l’on retient aujourd’hui de ces scandales et de leur traitement par les autorités, c’est bien qu’en étendant ce type de mesures qui reconnaissent aux victimes leur statut à toutes les institutions marocaines privées ou publiques, on leur permet par la même occasion de faire porter leur affaire au niveau pénal et de pouvoir espérer des sanctions judiciaires à l’encontre de leurs bourreaux.

Grâce à cette prise de conscience, il y a lieu d’espérer aujourd’hui et plus que jamais une réforme profonde de la législation mais aussi des mœurs quant au traitement du harcèlement sexuel, du viol et de la corruption, lesquels ont pour terreau fertile le sentiment d’impunité. Si on se décide à les généraliser, cette prise de conscience et ces mesures ne bénéficieront en effet pas seulement à des étudiantes victimes de chantage mais bien à tous les citoyens marocains confrontés à un système dans lequel la victime se retrouve encore trop souvent sur le banc des accusés.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 06/01/2022 à 13h04