Le 22 octobre dernier, l’Agence nationale française du médicament et des produits de santé (ANSM) avait émis un avis dans lequel elle déconseillait aux patients de consommer, par voie orale, les médicaments antirhume à base de pseudoéphédrine, utilisés pour décongestionner le nez, car pouvant causer des accidents cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Près de deux mois plus tard, qu’en est-il au Maroc?
Pour trouver une réponse à cette interrogation, Le360 a effectué un tour dans plusieurs pharmacies de Casablanca. Partout, même constat: ces médicaments sont très demandés par les consommateurs durant cette période hivernale. «Nous vendons en moyenne vingt médicaments par jour, surtout les produits en solution buvable», affirment deux gérantes d’officine basées dans les quartiers de La Gironde et des Roches noires.
Contre-indications chez les patients à risque
«Entre 15 et 20 clients viennent quotidiennement acheter ces médicaments», déclare la vendeuse de cette pharmacie sur le boulevard Abdelmoumen. Ephedryl, l’un des cinq médicaments à base de pseudoéphédrine commercialisés au Maroc (avec Dolirhume, Humex Rhume, Rhumagrip et Rhumix), était même en rupture de stock dans cette officine lors de notre passage il y a quelques jours.
Contrairement à l’ANSM française, le comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (PRAC) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) a recommandé, dans un avis publié le 1er décembre 2023, à certains patients de ne pas utiliser ces médicaments pour minimiser des risques de complications graves. «Les médicaments contenant de la pseudoéphédrine ne doivent pas être utilisés chez les patients souffrant d’hypertension artérielle sévère ou non contrôlée (non traitée ou résistante au traitement), ou d’insuffisance rénale aiguë (soudaine) ou chronique (à long terme) sévère», préconise le PRAC.
L’organisme invite les professionnels de la santé à conseiller aux patients d’arrêter immédiatement leur utilisation et de se faire soigner «s’ils développent des symptômes tels que des maux de tête sévères d’apparition soudaine, des nausées, des vomissements, de la confusion, des convulsions et des troubles visuels». Une posture adoptée également par un pharmacien installé dans le quartier de Belvédère. «Avant de vendre ces médicaments, je demande d’abord au client s’il ne présente pas des facteurs de risque. S’il est bien portant, je ne vois pas aucun mal à les lui en procurer», confie-t-il.
Mais, pour l’Agence française de la sécurité du médicament, les arguments du PRAC sont insuffisants. «Si le PRAC propose des mesures pour réduire les risques (…) avec l’ajout notamment de contre-indications et de mises en garde, il ne prend pas suffisamment en compte la gravité des effets indésirables auxquels les patients sont inutilement exposés pour soulager un symptôme bénin qui bénéficie d’alternatives sûres», explique-t-elle dans un communiqué publié le 1er décembre sur son site.
Méfiance chez certains consommateurs au Maroc
Au Maroc, le ministère de la Santé n’a pour le moment délivré aucune communication officielle sur ce sujet. Pour Saad Fouad, chargé de la communication de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, ce silence est plus ou moins compréhensible. «Le ministère de la Santé avait transmis une circulaire aux professionnels de la santé il y a trois ou quatre ans, après une alerte de l’Agence française sur les risques de ces médicaments chez les patients hypertendus ou atteints de maladies chroniques, lors de l’avènement du Covid, pour les inviter à prendre plus de précautions dans la délivrance de ces médicaments», rappelle-t-il, dans une déclaration pour Le360.
Et d’ajouter : «Depuis lors, il est recommandé aux pharmaciens de questionner les patients sur d’éventuelles contre-indications avant de leur vendre ces médicaments contenant des vasoconstricteurs». D’après notre interlocuteur, «aucun cas d’AVC causé par les médicaments concernés n’a pour le moment été officiellement noté» dans le Royaume.
Comme ses confrères, M. Fouad constate aussi une forte demande de ces médicaments au Maroc, mais avec un peu de méfiance tout de même chez certains consommateurs. «Ces médicaments sont très consommés dans les pharmacies, mais les patients sont conscients des risques et posent des questions. Bon nombre d’entre eux préfèrent de plus en plus acheter des médicaments contenant du paracétamol et de la vitamine C plutôt que les vasoconstricteurs sauf pour les habitués et bien portants», révèle-t-il.
Un pharmacien basé à Mohammedia a quant à lui pris une mesure radicale, décidant de supprimer tous les produits concernés des rayons de son officine. «Je ne commercialise plus les médicaments à base de pseudoéphédrine. Je préfère donner aux patients des produits ne contenant pas cette substance pour éviter les risques évoqués par l’ANSM, surtout qu’il existe ces alternatives pour soigner leur rhume», argumente-t-il.