Le séisme a touché le Haut Atlas, zone rurale et berbère, appellation issue du grec «Barbaros», signifiant étrangers, différents. Aujourd’hui, ces premiers habitants du Maroc revendiquent leur ancien nom: Amazigh, homme libre. Peuple libre qui, depuis plus de 5.000 ans, conserve jalousement sa langue et son identité.
Le Maroc ayant toujours été visé par des puissances étrangères, les Amazighen ont gagné les reliefs pour s’y protéger. C’est surtout au 7ème siècle, lors de la conquête musulmane, qu’ils auraient quitté les plaines pour les montages du Rif, du Haut Atlas, du Moyen Atlas et de l’Anti-Atlas. Certains dans des gsour (kasbahs), d’autres éparpillés sur les sommets pour se protéger des razzias, des vols et des inondations.
La notion de propriété est récente. El arde dial Allah, disait-on. La terre appartient à Dieu et les familles pouvaient s’installer là où elles choisissaient. Souvent, elles y sont installées depuis des générations, des siècles. Elles n’ont pas d’autres terrains ni d’argent pour acheter des maisons proches des routes goudronnées.
Des familles pauvres, vivant de petites récoltes d’arbres fruitiers, d’un peu d’agriculture, car les terrains en montagne sont petits et inclinés, de petits troupeaux de moutons et surtout de chèvres qui s’adaptent aux reliefs.
L’habitat rural est très dispersé, avec près de 34.000 douars éloignés les uns des autres. D’où la faiblesse des infrastructures de base: difficile d’équiper des douars en hôpitaux, écoles, administration, quand il y a peu d’habitants.
Le séisme a révélé les difficultés d’accès aux douars nichés sur les sommets, avec des pistes étroites et des ravins pouvant laisser passer à peine un mulet. De grands efforts ont été déployés par l’État pour désenclaver les douars. Mais les montagnes sont difficilement accessibles.
Les maisons sont construites avec les moyens du bord, souvent en torba (pisé), terre argileuse mélangée à la paille, coulée entre deux planches de bois. On construit avec des outils rudimentaires, à mains nues. Selon les régions, on construit avec des pierres sèches, encastrées les unes contre les autres, sans ciment.
Ces constructions ont l’avantage d’être thermophysiques (chaudes en hiver, fraîches en été), mais restent fragiles. Elles sont économiques pour une population qui ne peut payer le ciment et le fer, trop coûteux, et les frais de leur acheminement en montagne.
Pour s’agrandir, la famille construit un étage sans renforcer le rez-de-chaussée. Parfois, le premier étage est construit non pas en pisé, mais avec du béton et du fer dans la dalle du toit. À cette occasion, dans les douars, tous les hommes participent à la construction de dala (dalle). On sacrifie une bête et tous les habitants sont conviés à partager un couscous.
Les constructions sont anarchiques, sans architecte ni ingénieur de béton. Les ruraux n’en ont pas les moyens. De nombreuses constructions en béton, dans les villages, ne respectent pas la réglementation. Les propriétaires réduisent la quantité de ciment et de fer par économie.
Pour construire, il faut demander une autorisation. Mais la loi exige au moins un hectare à la campagne. Peu de montagnards possèdent une telle superficie. Il faut être propriétaire du terrain et le prouver. Là se pose un grand problème de foncier. Très souvent, les familles n’ont pas de titre foncier ou d’acte adoulaire (melkya). Le terrain peut être hérité de génération en génération, sans jamais avoir été enregistré.
Parfois, la famille habite depuis des générations sur un terrain qui ne lui appartient pas. Légalement, des habitants qui ont occupé un terrain rural plus de 20 ans peuvent se l’approprier, avec la procédure de stimrare al melkya et 12 témoins. Une procédure longue, compliquée, coûteuse.
Il faut également une attestation administrative, très difficile à obtenir. Ces procédures peuvent durer plus de 10 ans, avec des frais inaccessibles pour les ruraux.
Depuis 2011, un règlement de construction parasismique est imposé à toutes les constructions, sauf celles qui utilisent des techniques traditionnelles (pisé, bois, palmiers, roseaux…). Il n’est pas appliqué aux édifices d’un niveau, d’usage professionnel ou domestique, dont la superficie ne dépasse pas les 50 m2.
La plupart des habitations effondrées ne sont pas soumises à ce règlement. Il y a un an, la ministre de l’Habitat a envoyé une circulaire aux services concernés leur demandant de faciliter aux ruraux l’obtention du permis de construire. Mais les concernés ne savent pas comment s’y prendre quand le foncier pose problème. Souvent, les responsables, conscients de ces difficultés et pour aider cette population à se loger, ferment les yeux.
Tout un programme d’urgence titanesque est aujourd’hui en route pour reloger les sinistrés. Mais il n’y a pas que la reconstruction. Il faut déblayer les ruines, s’attaquer aux canalisations, à l’électricité, à l’eau potable, creuser à nouveau les puits effondrés, consolider les versants des montagnes pour stopper les éboulements, installer l’assainissement dans les douars qui n’en ont jamais eu…
Quelque 50.000 logements totalement ou partiellement effondrés, en plus des lieux de commerce et des bâtiments publics, sont à reconstruire.
Sur ordre du Souverain, la reconstruction doit être en harmonie avec le patrimoine de la région, selon ses caractéristiques architecturales uniques. Nous pourrons alors continuer à admirer nos merveilles architecturales qui bourgeonnent au sommet des montagnes, mais avec des habitants plus sécurisés.