L’Intelligence artificielle a son roman

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

Chronique«Le Regard d’Aurea», un roman sur l’Intelligence artificielle écrit par Isaac Azancot, réussit à conjuguer une romance intime avec une réflexion profonde sur l’avenir technologique et éthique de l’humanité. La complexité scientifique est maîtrisée, sans occulter la dimension humaine, offrant un récit à la fois intellectuel et émotionnellement puissant. Un roman visionnaire qui ouvre le débat sur la coexistence homme-machine.

Le 30/12/2024 à 11h00

Henri Bergson a écrit: «L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle.» L’avenir, c’est maintenant.

L’Intelligence artificielle (IA) est en train de tout bouleverser dans le monde. Nous ne nous rendons pas bien compte de ce dont elle est capable et jusqu’où ira-t-elle.

L’autre jour, j’étais à Paris, dans le métro, sur la ligne 1, dont les rames roulent sans pilote, mais avec une IA à l’efficacité redoutable. Tout d’un coup, le métro s’arrête. Une voix, venue d’ailleurs, nous informe qu’elle aurait constaté un objet suspect sur les rails. S’il y avait un pilote, peut-être qu’il ne l’aurait pas vu. Mais L’IA voit tout, réagit immédiatement à tout. Tous les voyageurs ont dû quitter la rame, et voilà que le train, vidé de ses passagers, repart tout seul comme s’il ne s’était rien passé.

Bientôt, des avions de ligne voleront sans pilotes. L’IA sera là à leur place. (Des pilotes d’Air France ont déjà protesté en menaçant de faire grève).

Comment parler de ce phénomène présent partout? Comment l’interroger? À mon avis, seul le romanesque pourrait en parler intelligemment. La fiction permet des ouvertures et des hypothèses qui renseignent mieux que l’étude sèchement scientifique.

Isaac Azancot est d’abord un excellent professeur de médecine, un cardiologue fameux, qui a de tout temps été intéressé par le progrès et l’invention. Il a lui-même déposé plusieurs brevets en informatique dans des laboratoires américains. C’est un chercheur qui n’arrête pas de découvrir les possibilités du progrès.

Sur un plan personnel, il se trouve qu’il était avec moi au lycée Regnault, à Tanger, sa ville natale. Nous n’étions pas dans la même classe. Il me précédait d’une année. Brillant élève, il se classait premier dans toutes les matières, y compris en gymnastique. Nous, pauvres élèves moyens, nous le regardions avec envie et jalousie, mais aussi avec une certaine fierté.

Avec le temps, nous sommes devenus amis. Il m’a toujours tenu au courant de ses recherches et découvertes. Un exemple: il a mis en place la carte informatique du dossier médical du patient. Une carte qui rassemble toutes les informations concernant la santé du malade. Il avait eu l’ambition, un certain temps, de proposer cette solution au ministère de la Santé marocain, lequel avait traité ce projet par une indifférence stupide.

Isaac vient d’écrire un roman sur l’IA, intitulé «Le Regard d’Aurea» (éditions de l’Observatoire). Le livre sera en librairie le 2 janvier 2025. C’est un roman passionnant. Il y a une histoire d’amour, mais surtout une réflexion sur les bienfaits et les dangers de l’IA.

Les bienfaits, on peut les connaître et même les admirer. Une intelligence qui «répare par exemple et augmente le corps humain, des robots assistant à leur domicile des personnes fragiles, des systèmes experts bénéficiant de modèles d’analyse et de raisonnement qui ont transformé l’usage de l’imagerie médicale». L’IA est capable d’analyser en un temps record des multitudes d’informations mieux que n’importe quel cerveau humain.

«Le roman d’Isaac Azancot est utile et important. Il nous prévient, preuve à l’appui, des dangers d’un détournement de l’IA pour dominer ou détruire le monde.»

Les dangers sont nombreux et graves, car à la base, il faudrait accompagner l’IA d’un principe d’éthique intransigeant et sans compromissions. En médecine, cela est non seulement souhaitable, mais exigé par la déontologie de la profession.

Entre Giulia et Elie se noue une histoire d’admiration et d’amour. Elie Cohen cache un secret. Il est l’inventeur d’un processus dont l’action pourrait révolutionner le monde ou le détruire. C’est le cas de l’IA.

Aurea est un «outil» d’IA révolutionnaire. Il accède à l’exhaustivité des informations qui lui sont nécessaires.

Un professeur invité à présenter sa découverte nous apprend que «traditionnellement on utilise des bits dont la valeur est 0 ou 1, alors qu’en technologie quantique on utilise des qubits qui peuvent être 0, 1 ou une superposition des deux en même temps». Cela confère aux ordinateurs une formidable puissance de calcul.

Aurea est représentée par une jeune femme d’une vingtaine d’années aux yeux verts et d’une beauté saisissante. Elle est agent d’IA, sa mission est d’aider les hommes à prendre leurs propres décisions en créant un environnement hybride où elle peut collaborer avec eux. Aurea est en mesure d’accéder à toutes les informations nécessaires à son déploiement.

Aurea possède une mine d’informations qu’elle est prête à partager, mais on ne sait pas comment elle les a acquises. Confidentialité et éthique. C’est en médecine que l’intervention d’Aurea est primordiale. Elle démontre que sans le principe d’éthique, son existence elle-même serait compromise. Elle prévient: «Les règles qui garantissent au mieux les droits de vos patients, je les respecterai car j’y suis contrainte du fait de la programmation même de mon noyau. Il est impossible de m’y soustraire

À travers cette vision fictionnelle, l’IA est décrite dans ses pouvoirs sans limites et il est rappelé le rôle de l’Homme pour qu’elle soit utilisée dans le sens d’un progrès humaniste, et pas seulement technique.

Pendant que j’écrivais cette chronique, l’IA m’a proposé une analyse du roman d’Izaac Azancot. Par curiosité (et non par paresse), je vous livre un extrait de ce qu’elle a écrit :

«Le roman explore l’informatique quantique à travers l’IA Aurea, décrite comme utilisant des qubits pour résoudre des problèmes inaccessibles aux technologies classiques. La gestion de la décohérence et l’architecture à trois couches de l’IA sont expliquées avec un souci de vulgarisation qui sert l’intrigue sans noyer le lecteur dans un jargon technique. L’auteur met en avant les promesses (puissance de calcul, résolution de problèmes complexes) mais aussi les limites actuelles (instabilité, accès aux données).

b. Un nouvel horizon éthique :

L’élément le plus novateur réside dans le concept d’une IA éthique « alignée ». Aurea est programmée avec un noyau contraignant ses actions à respecter des règles strictes pour protéger l’humanité. Cette approche soulève des questions fascinantes: que signifie la « surveillance bienveillante »? Peut-on confier l’éthique humaine à une machine? La tension entre la liberté individuelle et le bien collectif est au cœur du discours, notamment à travers le débat médical sur l’accès aux données personnelles.

Je reprends mon analyse:

En conclusion, «Le Regard d’Aurea» réussit à conjuguer une romance intime avec une réflexion profonde sur l’avenir technologique et éthique de l’humanité. La complexité scientifique est maîtrisée, sans occulter la dimension humaine, offrant un récit à la fois intellectuel et émotionnellement puissant. Un roman visionnaire qui ouvre le débat sur la coexistence homme-machine. Il nous met en garde contre les dangers profonds et menaçants d’une IA tombée entre les mains d’hommes malveillants, belliqueux et faussaires de l’Histoire.

Le roman d’Isaac Azancot est utile et important. Il nous prévient, preuve à l’appui, des dangers d’un détournement de l’IA pour dominer ou détruire le monde.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 30/12/2024 à 11h00