Un fait très rare, le parricide. Notre société a la chance d’avoir instauré le respect et l’affection absolus pour les parents. On peut ne pas être d’accord avec tel ou tel comportement ou décision, mais les parents sont intouchables. Il est excessivement rare qu’un fils lève la main sur son père et lui assène plusieurs coups de couteau.
Ce qui s’est passé au quartier Dyour Mssakine, à Marrakech, relève probablement de la folie. Mais derrière ce fait divers, des questions se profilent. Le fils, malade mental, tue son père. Un malade peut être dangereux, mais pas au point de s’en prendre à ses parents. Cette action tragique relève certes de la folie, d’un dérèglement de la raison et de l’état mental en général. C’est un crime impossible à comprendre, quelles que soient les causes qui l’ont précédé.
Je ne connais pas ce pauvre individu qui a commis l’irréparable. Je le plains. Et même s’il est soigné durant des années dans un hôpital psychiatrique, sa vie est totalement ruinée.
Quelle serait la part de responsabilité de la victime dans ce fait? L’enquête le dira.
Au cours de la dernière session de l’Académie royale, le thème était «Cohésions familiales et sociales à l’épreuve des mutations globales». Les académiciens ont exposé les menaces qui pèsent sur la cohésion familiale dans un Maroc émergent, ouvert sur les technologies nouvelles et même assez impliqué dans leur développement. La rencontre a vu des interventions de haut niveau intellectuel et scientifique.
La révolution informatique, que personne n’avait prévue, est arrivée doucement. D’abord l’ordinateur des ministères, en particulier celui de l’Intérieur, puis celui de la Défense (les années 1960), ensuite le fax (il aurait été inventé par l’armée américaine), suivi par l’ordinateur pour tous et enfin le téléphone intelligent qui nous rend un peu chèvres.
Des menaces concernent les valeurs ancestrales et fondamentales de la société marocaine. Le père est un personnage sacré, quels que soient ses défauts. La mère est sacrée aussi et aucun fils n’y voit des manques ou des défauts. On raconte que le coup de tête de Zidane contre l’italien Marco Materrazzi, durant la finale de la Coupe du monde de football, le 9 juillet 2006 à Berlin, a été la riposte de l’Algérien à l’Italien qui aurait insulté sa mère. C’est dire l’importance de la mère dans notre société. Zidane exclu, la France a perdu le match.
Cette sacralité est en train d’être touchée par les réseaux sociaux, qui contribuent à perturber l’ordre familial. Certes, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont poussé cet homme à tuer son père. Mais ce fils indigne a certainement eu affaire avec eux. D’une façon ou d’une autre, la fréquentation de ces réseaux est toxique, quelle que soit l’intelligence de l’utilisateur ou de l’utilisatrice.
Je me demande comment la justice va juger cette affaire. Est-ce que le tueur est malade mental? Certainement, car pour tuer son père, il faut avoir perdu la raison. Mais est-ce suffisant? Je reste perplexe et continue de croire, malgré l’extrême rareté de ce genre de fait divers, que quelque chose est en train de changer dans notre société et dans la famille. J’ai entendu l’autre jour un entrepreneur évoquer un projet de construction d’un asile pour les personnes âgées. Si notre pays accepte d’envoyer dans ces mouroirs les pères et mères dont l’âge est avancé, c’est que nous sommes en train de perdre une des valeurs fondamentales de notre société.
Cette valeur de respect des parents est une des choses qui nous différencie de l’Occident.
J’ai vu en Suède un fils retrouver ses parents qu’il n’avait pas vus depuis deux ans, leur faire un signe de la main en disant «Hi!». Pas d’embrassade, pas de bras qui s’ouvrent. Rien. L’individu est seul et le reste même quand il est face à ses géniteurs. Cette sécheresse est simplement insupportable. Elle n’est pas pour nous.
J’ai toujours embrassé les deux mains de mes parents. Même adulte, j’avais continué à leur manifester mon amour et mon respect par ce geste qui est naturel et nous caractérise.