Le jackpot des visas

Mouna Hachim.

Chronique«Pour un consulat, le traitement d’un dossier de visa est une dépense. Pour une société privée, une demande de visa est une recette».

Le 24/08/2024 à 10h58

Insolite et interpellant que ce sit-in de dizaines de citoyens marocains devant le Consulat d’Espagne à Casablanca en protestation contre les défaillances dans la prise de rendez-vous pour déposer le dossier de visa Schengen!

Au-delà du tourisme, se posent les cas des étudiants devant se préparer dans les meilleurs délais à rejoindre les bancs de leurs écoles et universités, des bénéficiaires du regroupement familial, quand il ne s’agit pas d’engagements professionnels ou médicaux.

Pour être concret, il se trouve que lorsque vous ouvrez quotidiennement le site web des sociétés d’intermédiation, dont le téléphone sonne généralement aux abonnés absents, le serveur bugue à tout moment ou affiche complet pendant des mois, du moins pour le citoyen lambda et véritable demandeur du visa.

Car les intermédiaires illégaux se seraient emparés de l’extrême majorité des créneaux, pas seulement pour se rendre en Espagne, l’espace des magouilles étant incommensurable.

Les semsara s’aident en cela, arguent les uns, de l’intelligence artificielle, hackant le système des rendez-vous en ligne, non sans complicités avec quelques agents des organismes de gestion, soutiennent mordicus d’autres personnes, en dénonçant des pratiques douteuses dignes de bandes d’escrocs.

Des sommes astronomiques seraient ainsi exigées allant, selon les saisons et selon la nature des visas, de 2.000 à 20.000 dirhams par personne pour acheter au marché noir un rendez-vous, afin d’avoir l’insigne privilège de déposer la tonne de paperasses de rigueur -en plus des frais de visas, cela s’entend!- dans l’espoir, et sans en arriver encore à l’obtention de l’ultime sésame, que les services consulaires daignent traiter le dossier en un temps décent, et pas en trois mois, en gardant le passeport en détention, de surcroît.

Si certains candidats à l’hypothétique voyage n’ont d’autre choix que de chercher des solutions alternatives, d’autres refusent de subir ces expériences humainement avilissantes et moralement inacceptables et demandent l’intervention du donneur d’ordre, l’externalisation des procédures annexes ne l’exonérant pas de toute responsabilité ni ne protégeant son image de ces éclaboussures indignes de son rang et des relations diplomatiques bilatérales.

Sur le principe, rien de concret ne peut être fait contre cette privatisation désormais établie des demandes de visas auparavant rendues par l’Etat.

«Comment accepter que ces demandeurs de visas soient tenus d’enrichir de grands groupes privés pour pouvoir accéder à notre territoire? demandait déjà en 2009 un député français au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner. On dépasse à ce stade les desiderata de la vulgate libérale puisque même les missions régaliennes de l’Etat sont bradées».

Toutefois, il est permis de demander une surveillance plus stricte du processus, a fortiori quand les réclamations fusent de toutes parts. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les centaines de commentaires laissés par les usagers des sociétés de gestion sur Google, dépités de ne pas pouvoir mettre moins qu’une étoile, malgré les bots appelés à la rescousse pour tenter de redorer une confiance ébranlée.

Depuis un moment déjà, des voix fusaient de-ci de-là demandant, à l’instar de La Fédération nationale des associations de consommateurs, le remboursement des frais d’assurance de voyage à destination de l’Europe, en cas de refus de l’octroi d’un visa Schengen.

Dans une question adressée au ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, une députée du parti politique Authenticité et Modernité avait demandé pour sa part d’étudier la possibilité de remboursement des frais de visas Schengen aux nombreux Marocains dont les demandes sont rejetées.

Chiffres présentés à l’appui, basés sur le rapport de la Commission européenne: 136. 367 demandes de visa Schengen soumises par des Marocains auraient été rejetées en 2023, ce qui représente la bagatelle de 118 millions de dirhams injectés en pure perte.

A l’échelle de l’Afrique, ce sont 704.000 demandes de visa Schengen rejetées en 2023, selon les statistiques de la plateforme officielle SchengenVisainfo, ce qui représente 56,3 millions d’euros de perdus (visiblement, pas pour tout le monde!)

Me viennent à l’esprit ces mots du sénateur français Adrien Gouteyron, auteur d’un rapport sur le service des visas: «Pour un consulat, le traitement d’un dossier de visa est une dépense. Pour une société privée, une demande de visa est une recette».

Enfin, les avis les plus «radicaux» -dont le mien, je l’avoue!- pensent que la réciprocité est la solution la plus acceptable pour assurer la parité dans les relations diplomatiques et pour s’affirmer dans toute sa dignité en assouplissant toutefois les procédures dans la transparence totale, pour donner l’exemple du Sud au Nord!

J’entends d’ici les avis opposés, pour lesquels un tel objectif est idéaliste, déraisonnable, voire dangereux dans ses répercussions sur les milliers d’emplois, sur les devises et sur les ressources liées au tourisme, sachant qu’un pays comme le Sénégal, dont le tourisme est la seconde source de revenus du pays, impose un visa biométrique par mesure de réciprocité alors que l’Egypte, pays touristique par excellence, exige pareillement un visa d’entrée.

Enfin, parlons-en de ce tourisme depuis que des voyageurs d’un genre particulier, arrivés au Maroc avec un passeport européen, se font remarquer sur le terrain et sur les réseaux sociaux pour leurs actes de délinquance et pour leur malveillance envers le pays hôte en posant des problèmes de sécurité.

C’est ce qu’on appelle entrer comme dans un moulin!

Par Mouna Hachim
Le 24/08/2024 à 10h58