Lors d’un passage à Casablanca, j’ai voulu voir un médecin spécialiste. Après une recherche sur Internet et un coup de fil, je me présente au cabinet du praticien privé. Je tairai la spécialité et le nom, sans préciser si c’est une dame ou un monsieur. J’emploierai ici le mot «praticien».
L’assistante me présente une fiche que je renseigne. Je me dirige vers la salle d’attente. À mi-chemin, l’assistante m’interpelle: «Eh monsieur…!» Veut-elle plus de précision sur la fiche? Non! Elle me dit sur un ton ferme: «Ici, il faut payer d’avance! C’est 300 DH».
Je lui fais remarquer que c’est la première fois que ça m’arrive et j’en ai vu des médecins. Je la rassure, je paierai après l’auscultation. Ce fut un niet. Donc le prérequis est non négociable. Payez et le service suivra! Comme dans un fast-food. Je n’en revenais pas.
Entre «patientèle» et «clientèle»
Avant de vider les lieux, j’ai repris ma fiche tout en faisant savoir à mon interlocutrice qu’elle n’y est pour rien dans cette affaire. J’ai tenu à élever légèrement la voix pour que mes mots parviennent aux oreilles du praticien, resté calfeutré derrière sa porte: «Un comportement injustifiable! On n’a pas le droit de faire porter à une personne qu’on ne connait pas l’habit du mauvais payeur, du resquilleur et pourquoi pas de l’escroc!». Un patient dans la salle d’attente intervient: «Si je n’avais pas déjà versé les 300 DH, je partirais comme vous!».
Déconcerté, j’ai quitté ce cabinet inhospitalier où je suis resté moins de 15 minutes. On peut dire que l’incident n’est pas trop grave… Payer avant ou après c’est du pareil au même… Mais il me semble significatif de nouvelles formes de déviance qui malheureusement prospèrent.
J’ai toujours pensé qu’un cabinet médical est un espace de dignité et de confiance partagée. Le médecin fait partie d’une élite. Mais lorsqu’il exige le pognon avant l’acte médical… rien à faire… ça ne passe pas chez moi. Le médecin a une «patientèle» et non pas une «clientèle».
Les temps changent. Toute une vision du lien social est à revoir. Une mise à jour dans ma tête me semble nécessaire, mais c’est très difficile. On se fait parfois rattraper par son âge. Pour me détendre, je me remémore la formule paraphrasée de Shakespeare: «Toubib or not toubib! That is the question!».
Des cliniques décomplexées
On sait que beaucoup de cliniques, pas toutes, sont décomplexées par rapport à cette question. Elles demandent des chèques de garantie ou le paiement préalable en espèces d’une partie des frais. Et pourtant le ministre de la Santé a rappelé, il y a peu au Parlement, que la demande d’un chèque de garantie dans les cliniques privées est une pratique illégale.
Mais une clinique reste une grosse structure. Au vu des traitements lourds, des frais d’hospitalisation, des investissements importants en appareillage de plus en plus sophistiqué, et de la masse salariale, on pourrait, non pas justifier, mais éventuellement trouver des «circonstancezatténuantes» à ces pratiques. Mais comme on dit: «Pas vu, pas pris!».
La relation est différente avec le médecin privé… On voit en lui tous les attributs de la proximité dans le sens le plus bienveillant du terme. Même si on s’adresse à lui pour la première fois, cela ne justifie pas de le «payer» au préalable. Le médecin privé, c’est le premier recours, presque un ami à l’épaule réconfortante…
Il y a certainement de mauvais payeurs. Et même! Un cas sur cent ou sur cinquante, ce n’est pas la fin du monde. Les patients nécessiteux sont de plus en plus rares. Avec la protection sociale généralisée, les hôpitaux publics sont accessibles à tous. Un ou deux patients démunis qui se pointent chez un médecin privé, pourquoi ne pas considérer cela comme un acte de «sadaka» (aumône) dans le sens le plus noble?
Un retour aux définitions et aux principes
On ne paie pas un médecin mais on lui donne des honoraires. Je suis revenu aux dictionnaires pour revoir le sens des mots. «Honoraires» vient du latin «donné à titre d’honneur». Une rétribution qu’on donne pour leurs services à ceux qui exercent une profession qualifiée d’honorable: les avocats, les médecins, les architectes, les experts-comptables, les psychothérapeutes…
«Honoraires» est aussi applicable dans le cas de «ceux qui enseignent quelque science ou pour ceux à qui on a recours pour recevoir un conseil salutaire, ou quelque avantage de leurs lumières». Le mot honoraires contient quelque part un hommage, une reconnaissance… ce qui nous éloigne de cette injonction «Khassek Tkhaless 9bel…!»
La notion de «profession libérale» est, elle aussi, entourée de respectabilité. Plusieurs législations précisent que «la profession libérale s’exerce en toute indépendance et assure des services intellectuels, conceptuels ou techniques, dans l’intérêt du client et du public». Cela induit donc la notion de «bénéfice non commercial».
Je suis revenu également aux codes de déontologie médicale de plusieurs pays et aux commentaires qui les accompagnent. C’est toujours les mêmes principes et la même vigilance partout dans le monde. En voici un bref résumé concluant: l’exercice de la médecine est un ministère. La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. La médecine est un service. La santé n’est pas une marchandise et l’acte médical n’est pas une denrée. Le patient n’est pas un consommateur et le médecin n’est pas un agent économique. La médecine ne relève ni d’une convention commerciale ni d’un marché. Le médecin ne se place jamais dans une logique mercantile qui ferait primer son intérêt sur celui du patient. Le médecin ne vend pas des ordonnances, des soins ou des certificats. Le patient est un être vulnérable et souffrant qui s’adresse avec espoir à celui qui maitrise une science et qu’il honore par une rétribution.
Pour ce qui est du moment du versement des honoraires, tous les usages témoignent que cela vient après l’effectivité de la prestation de soin. Mais pas avant. Un médecin ne peut demander la rétribution d’actes qu’il n’a pas encore accomplis.
Tout cela, d’éminents professeurs ne cessent de le répéter dans les facultés de médecine. Il faut, peut-être, cesser d’idéaliser, et penser que les médecins sont des humains comme les autres, ni meilleurs ni pires.
Loin de moi l’idée de généraliser. Que mes amis médecins, nombreuses et nombreux, qui exercent avec humanité et brio leur profession, comprennent cette réaction. Et j’espère les faire sourire en leur rappelant ce célèbre aphorisme: «Vous pouvez toujours arriver à lire la note d’honoraires d’un médecin, mais jamais son ordonnance…».