Selon le dernier rapport de l’observatoire «Oyoune Nissayia», la violence économique occupe la troisième place parmi tous les types de violences envers les femmes, après la violence physique et la violence juridique. Les chiffres provenant du centre d’écoute Habiba Zahi de Casablanca pour l’année 2023 sont frappants: sur un total de 28.000 actes de violence conjugale recensés, 5.255 concernent la violence économique, représentant une moyenne de plus de 18%.
Cette violence se manifeste sous diverses formes, allant de l’abstention de dépenser dans le cadre du mariage ou le refus de la pension alimentaire après le divorce à l’expulsion du domicile familial, en passant par la saisie de biens, le vandalisme de meubles, l’accaparement du salaire et l’interdiction de travailler imposée par un conjoint ou un parent.
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Interrogée sur les aspects les plus préoccupants de la violence économique, Oumaima Jmad, chercheuse en sociologie et militante pour les droits des femmes, souligne qu’aucun ne doit être minimisé car chacun d’eux contribue à maintenir les femmes dans une position de vulnérabilité, compromettant leur autonomie et leurs droits économiques et sociaux. Ces aspects incluent le contrôle coercitif des finances, les inégalités salariales, l’exploitation financière, entre autres.
Des violences qui peuvent coûter la vie
Mme Jmad évoque d’emblée des obstacles tels que le «plafond de verre», les «parois de verre» et le «plancher collant», qui entravent l’intégration et l’évolution des femmes dans le monde professionnel. Ces notions font référence à la barrière invisible qui limite les femmes, leur bloquant l’accès à des postes de direction, des opportunités de carrière ou des projets majeurs, mais aussi la tendance des femmes à rester bloquées à des niveaux inférieurs de la hiérarchie organisationnelle sans pouvoir progresser.
L’experte donne l’exemple du travail informel, qui «engendre des violences qui peuvent coûter la vie aux femmes, comme ce qui s’est passé dans l’usine de textile à Tanger en 2021, ou les femmes ouvrières agricoles qui meurent dans des accidents de la route, suite aux conditions de transport dangereuses, ainsi que le manque de contrôle par les structures de la sécurité sociale et de l’inspection».
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Elle pointe également du doigt la persistance de stéréotypes qui considèrent les salaires des femmes comme de simples revenus d’appoint. «Les tâches de soin et d’aide à la famille ne sont pas comptabilisées. Les femmes ont tendance à interrompre leur carrière, à effectuer un moins grand nombre d’heures et à accepter des emplois précaires pour pouvoir exercer un emploi rémunéré sur le marché du travail et les tâches non rémunérées à la maison. Conséquence: le sous-emploi et l’emploi vulnérable sont féminisés.»
Au niveau relationnel, divers comportements, comme restreindre l’accès des femmes à l’argent ou les contraindre à signer des documents financiers sans leur consentement, représentent des formes de violences économiques sournoises. «Refuser à une femme l’accès aux comptes bancaires, retenir ou dissimuler des informations sur les finances familiales ou lui refuser l’accès à des propriétés ou des biens communs sont autant de pratiques qui renforcent la dépendance financière des femmes», ajoute Mme Jmad.
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La violence économique, comme toute autre forme de violence, peut avoir des répercussions sur la santé physique et mentale des femmes. S’appuyant sur une étude de l’Association marocaine pour les droits des femmes (AMDF), notre interlocutrice cite «des psychosomatisations, des troubles anxieux et dépressifs, des maux de tête, des douleurs musculaires, des troubles digestifs, des troubles du sommeil, des troubles de concentration, ainsi que des maladies non transmissibles telles que le diabète, l’hypertension artérielle et le cancer, qui sont, d’après les participantes à l’enquête, des conséquences des violences subies».
Une législation truffée de lacunes
Concernant l’aspect juridique, Oumaima Jmad explique que la législation marocaine actuelle présente des lacunes significatives concernant la violence économique, particulièrement pour des groupes spécifiques tels que les mères célibataires et les femmes migrantes. «Les chapitres 146, 147 et 148 du Code de la famille ne reconnaissent que la parentalité-maternité, excluant ainsi les mères célibataires et leurs enfants des relations et des structures institutionnelles. Cette exclusion les expose à la marginalisation, aux violences personnelles, institutionnelles et à un risque accru d’exclusion sociale», alerte-t-elle.
«Bien que des mentions de la violence économique existent dans la loi 103-13 relative à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes, l’absence d’un système complet pour y faire face est un sujet d’inquiétude», note la spécialiste, qui appelle également à la ratification de la convention n°190 de l’Organisation internationale du travail sur la violence et le harcèlement. Et d’insister sur la réforme du Code de la famille pour garantir l’égalité de genre, en mettant l’accent sur des aspects économiques cruciaux tels que la pension alimentaire, la préservation de celle-ci après remariage, ainsi que l’égalité dans la gestion du patrimoine des enfants.
Les inégalités économiques entre les genres creusent un fossé qui contraint les femmes à demeurer dans des environnements abusifs par manque de moyens pour s’en sortir. Pour en venir à bout, Oumaima Jmad appelle à renforcer les lois existantes, à sensibiliser par le biais de programmes éducatifs et campagnes médiatiques tout au long de l’année, à former constamment les professionnels de la santé et les forces de l’ordre, et surtout à impliquer divers acteurs des pouvoirs publics, de la société civile, des communautés locales et surtout les femmes victimes et survivantes de violences.