La mobilité, c’est le premier des droits

Fouad Laroui.

ChroniqueSi ceux qui critiquent –à juste titre– ce qui ne va pas me permettaient de leur donner un conseil, je leur dirais ceci: faites-le de façon ‘holiste’ en considérant l’ensemble du système économique, sans oublier la mobilité.

Le 08/10/2025 à 11h10

Les jeunes qui sont sortis dans la rue la semaine dernière je parle de ceux qui se sont rassemblés pacifiquement et non des casseurs, qui méritent les rigueurs de la loi faisaient porter leurs revendications sur deux secteurs de l’économie: la santé et l’éducation.

On peut les comprendre. On ne peut qu’être révulsé par ce qui s’est passé cet été dans un hôpital d’Agadir. Huit femmes enceintes y sont mortes. Entrées pour donner la vie, elles ont perdu la leur. C’est inacceptable, en 2025.

Quant à l’éducation, sur ce sujet je n’ai rien à apprendre à qui que ce soit. Tout le monde peut constater la faillite de pans entiers de ce secteur sans pour autant ignorer quelques belles réussites, ces jeunes qui brillent dans les concours des grandes écoles, par exemple.

Cela dit, ces droits (santé, éducation…) et bien d’autres reposent sur un autre droit, primordial, mais qui passe souvent inaperçu: la mobilité.

J’habitais à El Jadida dans mon adolescence et j’étais interne dans un lycée de Casablanca. Rentrer chez moi le week-end était une ordalie: il fallait aller à pied au quartier Benjdia le samedi après-midi (on avait cours le samedi matin), trouver un car qui allât vers les Doukkala, y dénicher une place vide et prendre son mal en patience: le tas de ferraille démarrait selon le bon plaisir du conducteur. Et le trajet durait… trois heures! Il n’y avait pas d’autoroute à l’époque et on faisait plusieurs arrêts en route: Had Soualem, Bir J’did, Azemmour… Une fois arrivé à El Jadida, il me fallait encore dénicher un taxi qui veuille bien, dans sa grande bonté, m’emmener là-haut, au quartier Lalla Zahra. J’arrivais à la maison en début de soirée, rompu, fourbu. Et le lendemain dimanche, il fallait, dès le petit déjeuner avalé, penser au périple du retour. Autant dire que je restais le plus souvent au lycée, à me morfondre dans l’immense cour désertée.

Quelle différence avec la situation qui prévaut aujourd’hui, où l’on va en trois quarts d’heure de Casablanca à El Jadida, en voiture par l’autoroute ou en train, confortablement!

«Il ne faut pas négliger l’énorme progrès que constituent toutes ces infrastructures (autoroutes, voies ferrées…) que le pays a construites au cours des dernières décennies.»

—  Fouad Laroui

Le droit à une vie de famille est reconnu internationalement, notamment par la Convention des droits de l’enfant, mais il reste lettre morte en l’absence de mobilité permettant à l’enfant de voir sa famille.

De même, le droit à la santé reste virtuel si l’on ne peut accéder en urgence à l’hôpital, au risque de mourir en route.

Quant au droit à l’éducation, il ne saurait se concrétiser si des milliers d’enfants ne peuvent aller physiquement à l’école ou au collège, en l’absence de moyens de transport.

On peut faire le même raisonnement en ce qui concerne le droit au travail. On a construit des villes nouvelles pour résorber les bidonvilles qui défiguraient Casablanca mais, ce faisant, on a éloigné leurs habitants des endroits où ils pouvaient trouver à s’employer, fût-ce dans des jobs modestes (femme de ménage, gardien d’immeuble…). En l’absence de mobilité abordable et efficace, certains sont devenus chômeurs dans leur petit appartement à l’orée de la métropole.

C’est pourquoi il ne faut pas négliger l’énorme progrès que constituent toutes ces infrastructures (autoroutes, voies ferrées…) que le pays a construites au cours des dernières décennies. Au lieu de les opposer à la santé ou à l’éducation («avec cent kilomètres d’autoroute, on peut construire un hôpital ou dix écoles…»), il faut comprendre que ces infrastructures sont nécessaires à l’exercice concret du droit à la santé, à l’éducation ou au travail.

De ce point de vue, les projets d’infrastructures gigantesques– pour ne pas dire grandioses– récemment lancés entre Kénitra et Marrakech, et plus spécifiquement dans la région de Casablanca, dont le but est d’améliorer de façon décisive la mobilité dans cette partie névralgique du pays, doivent être considérés comme faisant partie des dossiers ‘santé’, ’éducation’, ‘travail’, etc.

Si ceux qui critiquent – à juste titre– ce qui ne va pas me permettaient de leur donner un conseil, je leur dirais ceci: faites-le de façon ‘holiste’ en considérant l’ensemble du système économique, avec toutes ses interactions et ses rétroactions, sans oublier l’essentiel: la mobilité, plutôt que de vous focaliser sur un ou deux secteurs, abstraits de l’ensemble.

Ainsi, votre discours serait plus efficace parce que plus conforme à la réalité et à la complexité du monde.

Par Fouad Laroui
Le 08/10/2025 à 11h10