Un verdict tombé tard dans la soirée du jeudi 31 juillet met un coup de projecteur brutal sur l’un des plus grands scandales de corruption de ces dernières années.
«À l’issue de plusieurs mois d’audiences sous haute tension, la Chambre criminelle de première instance chargée des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat a tranché: magistrats, avocats, notaire, greffier et hommes d’affaires se partagent une longue liste de peines de prison pour avoir trempé dans un vaste réseau de vente de jugements», indique le quotidien Assabah dans son édition samedi-dimanche 2 et 3 août.
Au centre de l’affaire, un ancien président de la Chambre criminelle d’appel de Tétouan. Ce haut magistrat, réputé dans le Nord du Royaume, est devenu le symbole d’une dérive où l’intégrité de la justice s’est monnayée au plus offrant. Trois ans de prison ferme pour le principal accusé. Certains espéraient une purge plus large.
Selon l’instruction menée par la Brigade nationale de la police judiciaire, l’affaire n’est pas celle d’un homme isolé. C’est tout un système parallèle qui se dessine, avec avocats influents, intermédiaires, notaire, greffier et hommes d’affaires gravitant autour du magistrat pour faciliter l’achat de décisions favorables contre des sommes colossales.
Les enquêteurs ont découvert des versements occultes, des cadeaux de luxe et des commissions versées en liquide pour garantir l’issue de procès délicats, notamment en matière pénale et foncière. Un promoteur immobilier, propriétaire d’une Lamborghini saisie au cours de l’enquête, symbolise à lui seul la dérive : argent, influence et train de vie tapageur au cœur d’un réseau qui aurait fonctionné des années sans éveiller de soupçons.
C’est une plainte inattendue qui a fait tout basculer, celle de l’épouse du magistrat, à l’été 2023. En pleine tourmente conjugale, elle décide de livrer aux autorités des enregistrements accablants, prouvant que son mari encaissait des pots-de-vin pour influencer des jugements. Elle raconte également avoir été battue, menacée par arme et contrainte de signer des documents la privant de ses biens au profit du fils du juge.
Les aveux de l’épouse ont ouvert la boîte de Pandore. Plusieurs avocats du barreau de Tétouan et même de Casablanca se retrouvent cités, tout comme un notaire, un greffier et la propre fille du magistrat, avocate de profession. Si certains ont bénéficié d’un acquittement ou de sursis, le parquet a promis de faire appel pour alourdir certaines peines jugées trop clémentes au regard de la gravité des faits.
Pour nombre d’observateurs cités par Assabah, l’affaire met en lumière une pratique connue, mais rarement exposée au grand jour : l’achat de jugements, notamment dans des affaires foncières où les enjeux financiers atteignent parfois des millions de dirhams.
Dans les couloirs du Palais de justice de Rabat, certains estiment que ce dossier n’est que la partie émergée de l’iceberg. «Cette fois, on a eu une preuve irréfutable grâce à une épouse courageuse. Combien d’autres passent sous silence?», souffle un avocat à Assabah sous couvert d’anonymat.








