Le Bachir, c’est le stade de Mohammedia, où le Chabab local, club de Faras, jouait ses matchs à domicile. On y allait donc tout le temps et autant dire que le Bachir est rapidement devenu une deuxième maison pour moi.
Parfois, le dimanche matin, bien avant l’heure du match, on passait voir Haj Abdelkader Hamiri (plus connu par «Lokhmiri»). Le Haj, qui était presqu’un ami de la famille, entrainait le Chabab. Ancien grand joueur, l’homme avait le port fier et élégant, et il était intarissable. Tout le temps en train de parler, de blaguer, de gesticuler. Il avait une grande culture aussi, alors qu’il était quasi-analphabète. On raconte qu’il arrivait aux entrainements avec une pile de journaux sous le bras: L’Equipe, France football, parfois aussi Onze et Mondial. Il attrapait son adjoint ou l’un de ses rares joueurs capables de déchiffrer un texte en français et lui disait, en lui tendant un journal: «Tiens, lis-moi ça, dis-moi ce qu’ils racontent!».
«Nous n’étions pas des extra-terrestres. D’autres groupes de supporters et des familles entières faisaient les mêmes voyages, pour ne rien rater des matchs de celui que l’on appelait le «maâllem»»
C’était une autre époque. L’autoroute n’existait pas encore et le moindre déplacement en dehors de Casablanca devait coûter en temps et en énergie. Cela ne nous a pas empêchés de sillonner tout le Maroc pour suivre le Chabab de Faras et du «Haj» dans tous ses déplacements. Les jours de match, il fallait se lever tôt et partir à l’assaut des routes du royaume. Bonjour les interminables routes nationales, les virages en lacets, les sentiers poussiéreux, les escales avec tajine ou viande grillée…
Nous n’étions pas des extra-terrestres. D’autres groupes de supporters et des familles entières faisaient les mêmes voyages, pour ne rien rater des matchs de celui que l’on appelait le «maâllem»: l’unique et l’inimitable Ahmed Faras, son toucher de balle, sa détente, ses frappes soudaines. Et surtout, ses pattes si représentatives des années 1970.
Certains déplacements étaient plus périlleux que les autres. Ils avaient une saveur particulière. Comme à Sidi Kacem, la ville d’Ahmed Dlimi, ou à Settat, l’antre de Driss Basri. Mais aussi à Rabat, pour jouer les FAR. Il faut savoir que le Chabab, dirigé par un certain Ait Menna (père de l’actuel président du Wydad), était un peu la surprise du chef, le petit club devenu grand par un tour de magie ou presque. Quand ils jouaient à Sidi Kacem, Settat ou Rabat, on avait l’impression d’avoir affaire à une vaillante équipe de quartier qui affrontait l’État marocain et le tout puissant ministère de l’Intérieur. David contre Goliath. Et c’est David qui l’emportait à tous les coups, ou presque.
Avec le temps, j’ai fini par connaitre Faras, l’homme, aussi discret et effacé que possible. Tout Mohammedia lui vouait un culte absolu et sa maison était une sorte de «horm» (lieu de culte sacré) que personne n’osait profaner. J’ai aussi fini par connaitre son compère, l’extraordinaire Acila, de son vrai nom Hassan Amcharrat, à la patte gauche magique. Acila, décédé il y a deux ans, n’a pas eu beaucoup de chance dans sa vie. J’ai encore en tête le souvenir de ce jour où je l’ai vu, en tenue de travail, errer dans les couloirs de l’administration où il était un simple employé, marchant le dos courbé… Quel contraste avec son image bondissante sur les terrains. Quel choc!





