Il existe une idée profondément ancrée dans l’imaginaire collectif, celle selon laquelle il suffit de franchir une frontière pour laisser son passé derrière soi. Beaucoup de fugitifs s’y accrochent comme à une bouée de sauvetage. Un avion, un nouveau pays, un nom d’emprunt. Pourtant, un dispositif rodé relie les polices du monde entier. La notice rouge. Un outil discret, parfois méconnu, mais indispensable pour rappeler qu’une fuite ne fait jamais disparaître un crime.
Imaginons un soir, un homme quitte son pays avec l’impression d’abandonner une scène qu’il ne veut plus revoir. Le taxi roule vite, emportant dans sa course la peur, la culpabilité et l’espoir fragile d’échapper à la justice. L’homme regarde les lumières de sa ville pour la dernière fois. Quelques heures plus tard, son avion décolle, le conduisant vers un autre horizon. Il imagine que tout peut recommencer là où personne ne le connaît.
Pendant ce temps, dans des bureaux, d’autres personnes observent les dossiers s’accumuler. Une équipe d’enquêteurs remplit les formulaires nécessaires. Des magistrats signent un mandat d’arrêt. Une demande s’apprête à être envoyée à Interpol. La fuite de l’homme n’aura pas trop duré.
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Contrairement à ce que l’on croit souvent, «les notices rouges sont des avis de recherche internationaux, et non des mandats d’arrêt». Ce n’est donc pas un coup de tonnerre qui oblige chaque pays à arrêter quelqu’un. Interpol ne traque pas, n’arrête pas, ne juge pas. L’organisation sert d’intermédiaire. Elle diffuse une information qu’un pays membre lui demande de partager.
Concrètement, il s’agit, selon Interpol, d’«une demande adressée aux services chargés de l’application de la loi du monde entier à l’effet de localiser une personne et de procéder à son arrestation provisoire dans l’attente de son extradition, de sa remise ou d’une mesure similaire conforme au droit. Elle est fondée sur un mandat d’arrêt délivré par les autorités compétentes du pays membre à l’origine de la demande ou sur une décision de justice rendue par ces mêmes autorités. Les pays membres appliquent leur propre droit pour décider d’arrêter ou non la personne».
Dans le détail, la notice prend la forme d’un signalement complet qui rassemble à la fois l’identité de la personne recherchée et les raisons pour lesquelles elle est poursuivie. Elle décrit le nom, la date de naissance, la nationalité, l’apparence physique, les couleurs des yeux et des cheveux, les photographies disponibles et parfois même les empreintes digitales. Elle raconte ensuite l’infraction à l’origine de la demande, qu’il s’agisse d’un meurtre, d’un viol, d’un abus pédosexuel, d’une escroquerie ou d’un vol à main armée.

Quel est l’intérêt de ces notices rouges?
Pour Interpol, l’importance des notices rouges tient au fait qu’elles diffusent instantanément une alerte auprès de toutes les polices des pays membres lorsqu’un fugitif est recherché à l’échelle internationale. Ce système permet de retrouver et de traduire les fugitifs en justice, parfois même plusieurs années après la commission des faits qui leur sont reprochés.
Interpol ne peut contraindre les services chargés de l’application de la loi d’un pays à arrêter une personne faisant l’objet d’une notice rouge. Chaque pays membre décide de la valeur juridique à accorder à une notice rouge et d’habiliter ou non ses services chargés de l’application de la loi à procéder à des arrestations dans ce cadre.
Qui peut faire l’objet d’une notice rouge?
Les notices rouges visent des fugitifs recherchés pour être poursuivis pénalement ou pour exécuter une condamnation liée à des infractions de droit commun particulièrement graves, comme le meurtre, le viol ou l’escroquerie. Elles sont émises à la suite de procédures engagées dans le pays qui les demande, lequel n’est pas forcément le pays d’origine de la personne concernée.
Lorsqu’une notice porte sur un individu recherché pour des poursuites, celui-ci n’a pas été condamné et demeure présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. À l’inverse, lorsqu’elle concerne l’exécution d’une peine, la culpabilité de la personne a déjà été établie par la justice du pays à l’origine de la demande.
Nombre de notices rouges publiées par Interpol entre 2014 et 2024 (Source: Interpol)
| Année | Nombre de notices rouges |
|---|---|
| 2014 | 10 195 |
| 2015 | 10 904 |
| 2016 | 11 728 |
| 2017 | 12 042 |
| 2018 | 13 516 |
| 2019 | 13 410 |
| 2020 | 11 094 |
| 2021 | 10 776 |
| 2022 | 11 282 |
| 2023 | 12 260 |
| 2024 | 15 548 |
L’article 83 du Règlement d’Interpol sur le traitement des données fixe précisément les conditions permettant la publication d’une notice rouge. Celle-ci n’est possible que si les faits reprochés relèvent d’une infraction de droit commun particulièrement grave. À l’inverse, certaines catégories d’infractions en sont exclues.
Sont notamment écartées celles qui soulèvent des controverses parce qu’elles touchent à des normes comportementales ou culturelles, comme la prostitution ou les atteintes à l’honneur. Sont également exclues les affaires strictement privées ou familiales, telles que l’adultère, la bigamie ou les relations homosexuelles.
De même, les violations administratives ou les différends d’ordre privé ne peuvent donner lieu à une notice rouge, sauf s’il apparaît que ces actes ont facilité la commission d’un crime grave ou présentent un lien avec la criminalité organisée, par exemple en cas d’infractions routières, de diffamation ou d’émission de chèques sans provision, sauf intention frauduleuse avérée. Le Secrétariat général tient à jour une liste non exhaustive des infractions relevant de ces catégories.

Chaque demande de notice rouge est minutieusement vérifiée par le Groupe spécial notices et diffusions d’Interpol, une équipe multilingue réunissant juristes, policiers et spécialistes opérationnels chargés de s’assurer du strict respect de la réglementation.
Pour évaluer la conformité d’une notice, ce groupe examine toutes les informations disponibles, qu’elles proviennent du Bureau central national ayant formulé la demande, d’autres pays membres ou de sources publiques.
Si une notice ou une diffusion ne respecte plus le Statut ou la réglementation d’Interpol, elle est immédiatement annulée. L’ensemble des pays membres en est informé et doit supprimer toute donnée liée de ses propres bases nationales.








