L’année 2010, j’étais à l’étranger. Mon compte Facebook est piraté. Trois de mes contacts ont été arnaqués: le pirate leur a écrit, en mon nom, que j’étais absente et qu’un de mes étudiants que j’aide avait besoin de 2.000 DH. Un message en dialectal marocain, écrit en caractères latins. Mes amies lui ont envoyé l’argent sans penser que je maîtrise assez le Français pour ne pas écrire en darija.
Un matin, à 7h00, lors de la fête du Mouloud, je dormais quand le téléphone sonne: «Bonjour, c’est moi Marwane qui ai piraté ton compte. Mon cousin m’a grondé. Il te connaît et m’a dit que tu es une femme bien. En ce jour sacré, je me repens. Je veux ton pardon».
Dans les vapes, je réponds: inna Allah ghafour rahim (Dieu est clément).
J’ai récupéré mon compte Facebook. Trois ans plus tard, je reçois un texto: «C’est moi Marwane qui ai piraté ton compte. Je te présente mes condoléances pour le décès de ton père». Un pirate courtois!
Au début d’Internet, la victime recevait un email du fils d’un général d’un pays africain en guerre. Son père doit sortir du pays une énorme somme d’argent. Il promet à la victime une grande part et lui demande d’ouvrir un compte bancaire pour y déposer l’argent. Il demande de l’argent pour prendre l’avion pour rencontrer la victime et lui remettre l’argent. Ensuite, il disparaît. Les victimes gardent leur secret pour ne pas se ridiculiser.
Depuis, le piratage s’est perfectionné et fait d’immenses dégâts, jusqu’à ruiner des victimes ou les pousser au suicide.
Les brouteurs sont des as de l’arnaque. Pourquoi brouteurs? Ils sont tels des moutons qui broutent l’herbe la plus verte, sans fournir d’effort. Ils sont principalement en Afrique de l’Ouest, au Sénégal et surtout en Côte d’Ivoire, et exercent à partir de cybercafés pour brouiller les pistes. Beaucoup sont à peine adolescents.
Ils inventent de faux profils sur les réseaux sociaux pour séduire des personnes en précarité sentimentale et leur soutirent des sommes parfois colossales. Ils sont donc arna-cœurs!
Ils piègent surtout des célibataires, souvent des femmes d’âge mûr, souffrant de solitude.
Majida, 54 ans, divorcée: Mes enfants ont quitté la maison. La solitude est horrible. Je reçois le message d’un bel Italien converti à l’Islam, divorcé. Sa fille de 14 ans vit avec sa mère. Il est épaté par mon profil et me complimente. On communique seulement par WhatsApp car il travaille dans une société pétrolière en Ouganda et a des problèmes de connexion. Il m’envoie ses photos et celles de sa famille. Sa fille m’écrit pour me dire qu’elle veut me rencontrer. Je suis très rusée, mais j’ai tout gobé! Il a meublé mes nuits, car nous passions des heures à discuter. Au bout d’un mois, il me propose de nous rencontrer à Florence. Je suis aux anges. Mais un problème surgit dans son entreprise et ses comptes bancaires sont bloqués. Heureuse à l’idée de le rencontrer, je lui propose de lui envoyer l’argent. Il refuse, j’insiste. Ce fut le début… J’y ai laissé 100.000 DH. Il m’a ensorcelée. J’ai réussi à le localiser: j’ai vécu un amour platonique intense avec un salaud de gamin de 16 ans, vivant en Côte d’Ivoire!
Cette sorcellerie est exercée par des formations sur Internet pour exceller dans l’art d’arnaquer et par des techniques de psychologie pour utiliser les mots adaptés à chaque victime.
Les brouteurs copient, sur Internet, des textes romantiques pour envoûter. Il y a même des groupes de brouteurs, notamment dans la plateforme Telegram, où les membres échangent des conseils pour trouver leurs cibles, échapper à la justice…
Sur les réseaux sociaux, des adolescents et de jeunes hommes en Afrique de l’Ouest s’exposent, entourés de tas de billets de banque, fruit de l’arnaque, sans être inquiétés par les autorités de leurs pays.
Salwa, 61 ans, veuve: Notre idylle a duré plus d’un mois. Un prince charmant. Je lui demandais de parler avec lui et non de continuer à nous écrire. J’ai alors détecté un accent africain alors qu’il se disait français. Je l’appelais par vidéo, mais il ne répondait pas, sous prétexte qu’il est ingénieur au Yémen, où la connexion est limitée. Un jour, il m’a envoyé la photo de son fils plâtré aux deux jambes, après un accident. Il devait lui envoyer de l’argent, mais n’y arrivait pas. Il me priait d’envoyer 10.000 DH à son fils. Là j’ai compris! Mon rêve s’est écroulé!
Beaucoup d’hommes se font avoir par des femmes à la beauté éblouissante qui s’avèrent être des hommes tentant de leur extorquer de l’argent.
Khalid, 66 ans, divorcé: Elle m’a séduit. Ses photos étaient sublimes. J’ai perdu la raison. On communiquait par écrit, car elle est ukrainienne et sa connexion ne lui permet pas de passer des appels vocaux et par vidéo. Elle avait besoin d’argent pour se nourrir. Son fils était malade. J’envoyais! On devait se voir à Madrid. Je lui ai envoyé l’argent pour son déplacement. Je l’ai attendue 3 jours dans un hôtel. Elle a disparu. 65.000 DH! Par le biais d’un ami informaticien, j’ai réussi à lui parler au téléphone: un homme à l’accent africain. J’ai fantasmé sur un homme.
Pire: en France, un homme marié a une relation d’amour intense avec une femme, sur Internet. Il assassine son épouse pour vivre pleinement son amour. Sa belle s’est avérée être un homme en Afrique du Sud.
Les brouteurs fonctionnent en réseau, emploient des filles sans accent africain pour parler français ou anglais. Ils ont des complices en Occident. Par exemple, ils demandent au complice à Paris d’envoyer des fleurs à la victime.
Les autorités arrivent parfois à tracer les escrocs, mais toutes les victimes ne portent pas plainte. Combien de personnes se sont fait avoir au Maroc? Nous ne le saurons jamais!
Donc, vigilance! Attention à l’amour virtuel!