Hajar Raissouni vs Ahmed Raissouni: la guerre des idéologies est déclarée dans la famille islamiste

DR

A toutes celles et ceux qui ont milité pour la libération de Hajar Raissouni, son oncle, le bien connu Ahmed Raissouni adresse une chronique sous forme de pamphlet très insultant envers les femmes et les défenseurs de certaines libertés individuelles.

Le 21/10/2019 à 12h47

Si vous avez milité sous le hashtag #FreeHajar ou pire encore, #horslaloi, cette chronique signée Ahmed Raissouni, ancien président du MUR, le bras idéologique du PJD, vous est destinée.

Alors que Hajar Raissouni a pu compter sur le soutien d’un grand nombre de Marocains qui n’épousaient pas pour autant ses idées ni les valeurs qu’elle véhiculait, voici que son oncle, qui s’était montré jusque là assez silencieux sur cette affaire à l’image des partisans islamistes, fait une sortie médiatique pour le moins remarquée… et déplacée.

Celui-ci a en effet (prudemment) attendu la libération de sa nièce, laquelle a bénéficié d’une grâce royale, pour exprimer son point de vue sur les libertés individuelles. Et autant dire que ses propos sont en totale contradiction avec les causes que soutient désormais ouvertement Hajar Raissouni.

Faut il voir un règlement de compte familial ? un recadrage via organes de presse interposés? A vous de juger.

Hajar, nouvelle icône de (toutes) les libertés individuelles

Toutes celles et ceux qui ont milité pour la défense de Hajar Raissouni se posaient une question commune: comment celle-ci réagira-t-elle à sa sortie de prison? Prendra-t-elle la tangente en rejoignant sa famille de sang et de spiritualité? Ou rejoindra-t-elle au contraire les rangs de celles et ceux qui ne partagent peut-être pas les mêmes valeurs idéologiques mais qui ont tout de même décidé d’en faire abstraction pour défendre sa liberté?

Dès sa sortie de prison, l’intéressée a affirmé au quotidien français Le Monde: «Je vais traiter avec plus de courage certains sujets que je suivais avec timidité, comme le droit des femmes. J’ai été humiliée en tant que journaliste, mais aussi en tant que femme. Je vais défendre le droit à l’avortement même si je n’ai pas avorté. Je vais défendre les relations sexuelles hors mariage, même si j’avais une relation de mariage avec Rifaat. Car ces lois sont utilisées pour casser les opposants ou les militants des droits de l’homme.» Cette affaire a visiblement transformé Hajar Raissouni en défenseuse des libertés individuelles.

Des propos qui ont visiblement fait hérisser la barbe de l’oncle de la journaliste, Ahmed Raissouni.

La réponse du berger à la bergère

Quelques jours après la libération de sa nièce, Ahmed Raissouni a donc pris sa plume pour rédigé une chronique intitulée «je suis pour les libertés individuelles».

A la lecture de ce titre, on retient son souffle. Le président de l’Union internationale des oulémas musulmans va-t-il lui aussi abonder dans le sens de sa nièce, nouvelle défenseuse des libertés individuelles? Que nenni, la joie sera de courte durée…

Car autant dire que le titre de cette chronique est pour le moins mensonger.

Celui-ci débute en exposant sa propre version des libertés individuelles, en tant que musulman croyant et pratiquant.

«Oui, je suis avec les libertés individuelles, dans la pratique et le plaidoyer», annonce-t-il, avant d’exposer sa propre définition de ces libertés.

Celui-ci soutient ainsi la «liberté de pensée et d’expression», souhaite «voir et entendre toutes les formes de créativité et de beauté», jouir de «la liberté de se déplacer, de voyager», «de pratiquer des activités, des relations commerciales avec les autres», de «sortir de son isolement (…) chacun en fonction de ses conditions et circonstances, de son goût et de son humeur, et de sa doctrine.»

«À travers ces tendances et dans tous ces domaines, des droits et libertés individuels apparaissent et se ramifient dans le sens le plus large du terme», déclare-t-il insistant sur le fait que pouvoir choisir le métier et le travail que l’on souhaite, ou changer de cap en cours de route, fait partie des libertés individuelles.

Puis de revenir à nouveau sur cette liberté individuelle que représente le droit à «s'installer et de se déplacer dans d’autres régions et pays».

Et de conclure cette définition singulière par la sentence suivante: «Toutes les libertés ont des limites et sont soumises à des contrôles.»

Certes cela va de soit, il est convenu que la liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres. Mais ce n’est pas sur ce terrain que nous emmène Ahmed Raissouni dans sa chronique.

«Certaines tendances et convoitises entrainent des excès», explique-t-il.

«Toutes les libertés et pratiques individuelles devaient être soumises au degré nécessaire de contrôle, de restriction et de rationalisation», lance Raissouni, en prenant pour exemple notre liberté à utiliser un moyen de transport.

«Le propriétaire de la voiture est incontesté. Il l’a achetée avec de l’argent, grâce à son travail, mais il n’a pas encore la liberté de l’utiliser». Vous ne voyez pas encore où Ahmed Raissouni veut en venir? C’est normal, sa thèse alambiquée ne sert qu’à tordre le cou à une expression qui véhicule un sens insupportable à ses yeux.

Suivons jusqu’au bout la démonstration de l’oncle de Hajar: «Son utilisation (celle de la voiture) illimitée comporte divers risques pour son propre utilisateur, ainsi que pour les autres personnes, individus et communautés, dans leur vie, leur corps, leur argent, leur tranquillité et leur liberté de mouvement.»

Puis en guise de conclusion, voici l’estocade finale: «Tous les passagers des voitures et des avions du monde entier sont obligés d'utiliser la ceinture, même si cela ne nuit pas aux autres.» CQFD.

Traduction: pour celles qui s’adonnent à la fornication, quand bien même cela ne nuit pas autres, l’abstinence est tout de même de mise.

Sexe profane et sexe sacré

Ahmed Raissouni vise ensuite directement ceux qu’il nomme dans un intertitre les «ennemis des libertés individuelles» et auxquels il consacre un long chapitre.

«Les libertés en général, et les libertés individuelles en particulier, ont des adversaires et des ennemis» et ceux-ci, pour votre information, se classent selon lui en deux catégories: d’une part, ceux «qui les déforment, les banalisent et les maltraitent» et d’autre part «ceux qui les empêchent illégalement.»

La première catégorie citée par Raissouni vise en fait ceux-là mêmes qui ont défendu sa nièce Hajar, corps et âme.

«Ils ont limité les prétendues "libertés individuelles" à certaines pratiques anormales et actes déchus, tels que l'adultère, l'homosexualité et l'infidélité conjugale.» Selon lui, «leurs libertés individuelles, et leurs campagnes frénétiques, sont confinées à des tabous sexuels».

Et de dénoncer au passage ceux qui en profitent aussi pour rompre le jeûne en pleine journée.

«Récemment, nous les avons vu brandir des banderoles déclarant avoir des relations sexuelles et se faire avorter»... Et toc, dans les dents des 490 hors la loi, qui sont aujourd’hui plus de 10.000 signataires. Ces femmes sont qualifiées par Raissouni de “khassirates“, un mot dont la traduction «perverties» ne rend pas toute la force de la signification en arabe. Car dans le mot en arabe, on trouve la conjonction de perdantes, perdues, inutiles, hors d’usage et perverties. Si on mixe tous ces mots, on approche du qualificatif de Raissouni.

A ces amateurs de «sexe profane», «aveuglés par leurs idées», Raissouni oppose sa version du «sexe sacré» qui apporte selon lui une «vraie liberté responsable, plaisir et bonheur, sécurité et stabilité, amour et épanouissement, tranquillité et affection, coopération et intégration, santé, sécurité et bien-être, reproduction et éducation, construction et développement, liens familiaux compatissants et compatissants.»

Et d’aller encore plus loin: «Quant au sexe profané, il s’agit d’un plaisir détourné», pétri «d’affections suspectes, fausses, mensongères et trompeuses», à la finalité «souvent tragique: meurtre, suicide ou maladie mortelle». Et surtout, entraînant le «mécontentement et la punition de Dieu».

Dans la vision manichéenne de Raissouni, «les libertés réelles, constructives et disciplinées, qui sont innombrables» s’opposent donc à leur antithèse, à savoir, «certaines pratiques tabous, destructrices, irresponsables (…) qui sont l'expression en profondeur de la perte de la capacité d'exercer la discipline de la vraie liberté.»

Devant le tollé suscité par la tribune de son oncle, Hajar Raissouni a réagi ce lundi très tôt sur Facebook en déclarant qu’elle est «en désaccord avec lui sur les libertés individuelles ».

© Copyright : DR

Et d’ajouter : «Ahmed Raissouni est un fondamentaliste et ses positions au sujet des libertés individuelles ne sortiront pas du cadre théorique et idéologique qui les détermine. Que je sois en prison ou libre ne changera en rien ses positions.» Et d’ajouter : «je vous rassure : il ne deviendra pas un libéral pour mes beaux yeux». Hajar Raissouni termine son post avec ces mots : «je soutiens toute femme qui a subi une violence symbolique, qu’elle émane d’Ahmed Raissouni ou d’une autre personne».

Le soutien devrait être mieux appuyé, compte tenu du caractère très insultant envers toutes celles qui ont signé une pétition appelant à respecter les libertés individuelles de Hajar Raissouni.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 21/10/2019 à 12h47