Gestion des déchets. Décharge de Médiouna: et si Casablanca copiait Addis-Abeba?

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Les décharges à ciel ouvert constituent des catastrophes écologiques et des bombes à retardement en Afrique. Pourtant, des solutions existent et présentent d’innombrables avantages. Casablanca, qui accueille l’une des pires décharges à ciel ouvert du continent, pourrait s’inspirer d’Addis-Abeba.

Le 14/10/2018 à 13h35

En Afrique, les décharges à ciel ouvert font malheureusement partie du décor des grandes villes. De Casablanca au Cap, en passant par Lagos, Addis-Abeba, Conakry,…, les montagnes de détritus «décorent» la quasi-totalité des métropoles africaines. Ces décharges sauvages prolifèrent et constituent des bombes à retardement qui explosent de temps en temps pour rappeler à tous les dangers qu’elles représentent.

L’explosion dans une décharge d’enfouissement de produits avariés près de Cotonou, au Bénin, en septembre 2016, a causé plus de 20 morts. L'éboulement en mars 2017 au niveau de la décharge de Koshe d’Addis-Abeba a fait plus de 110 morts. Le glissement de terrain au niveau de la décharge de Conakry, en août 2017, a entrainé une quinzaine de morts. Et la liste est longue.

Ces accidents meurtriers viennent souvent rappeler la triste réalité de l’absence d’une gestion des déchets urbains en Afrique. En gros, le laxisme des autorités en charge du traitement, de la gestion et de l’élimination des montagnes de déchets est patent partout, ou presque, en Afrique, un continent qui génère environ 200 millions de tonnes de déchets par an.

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C’est le cas de la grande métropole de Casablanca et l’imposante décharge de Médiouna, l’une des pires décharges du continent. Celle-ci constitue aujourd’hui une véritable bombe à retardement. Les déchets qui se sont entassées durant un peu plus de 3 décennies culminent à environ 45 mètres de hauteur. Du coup, le risque d’éboulement fait courir un risque réel à plus de 1.000 chiffonniers présents quotidiennement au niveau de la décharge ainsi que 20.000 têtes de bétail qui y paissent. A cela s’ajoute évidemment l’urgence écologique et sanitaire que cause l’infiltration continue de plus de 220.000 m3 de lixiviats accumulés au niveau de la décharge. Surtout que cette dernière, ouverte en 1986, devait être fermée en 2010 conformément aux clauses du contrat liant la Commune urbaine de Casablanca à Ecomed. Aujourd'hui, elle est malheureusement toujours active.

Pire, depuis quelques semaines, les habitants de plusieurs quartiers riverains de la décharge se plaignent, une fois de plus, d'une odeur étouffante née certainement de l’incinération sauvage des ordures qui dégage des rejets de poussières et de fumées chargés de particules de métaux lourds et de gaz très nuisibles à la santé. Ceux-ci pouvant entraîner des problèmes respiratoires et des maladies graves comme le cancer.

Face à cette situation, le défi aujourd’hui du Conseil de la ville de Casablanca devrait être celui d’adopter une approche en rupture avec la politique de traitement des déchets suivie jusqu’ici, et qui s’est concentrée uniquement sur la collecte, le transport et la mise en décharge des déchets, sans aucun plan de traitement et de valorisation. Avec une décharge considérée comme l’une des plus importantes du continent, il urge pour le Conseil de Casablanca d’inscrire la gestion des déchets dans la perspective visant à donner une nouvelle vie aux ordures.

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D’où la question: quelle solution pour la valorisation des déchets de la décharge de Médiouna? La réponse urge et malheureusement la mairie de Casablanca semble désarmée sur ce dossier crucial.

Partant, des solutions existent. En Afrique, certains ont franchi l’étape visant à donner une nouvelle vie aux déchets. C’est le cas de l’Ethiopie. L’expérience d’Addis-Abeba peut constituer une piste à suivre pour Casablanca. En effet, pour trouver une solution à la décharge de Koshe, qui s’étend sur 5,3 hectares aux environs de la capitale éthiopienne, et dont l’éboulement en 2016 avait causé plus de 110 morts, les autorités éthiopiennes ont construit une unité de valorisation des déchets.

Inaugurée en août dernier, celle-ci est dotée d’une capacité d’incinération d’environ 500.000 tonnes d’ordures par an, soit 1.400 tonnes par jour.

L’avantage de cette unité, baptisée Reppie waste to energy facility (Installation de valorisation des déchets en énergie), au-delà de l’incinération des déchets, elle produit de l’électricité. La combustion de déchets dégage de la vapeur qui fait tourner des turbines de production d’électricité d’une capacité de 25 mégawatts, générant annuellement 185 gigawatts/heure d’électricité. En tournant en plein régime, l’usine va fournir 25% des besoins en électricité des 4 millions d’habitants d’Addis-Abeba, la capitale éthiopienne.

Cette unité, d’un coût d’environ de 100 millions de dollars est considérée comme étant la première du genre en Afrique, selon Cambridge Industrie qui l’a construite. En plus de la combustion de 80% des déchets produits par les citadins d’Addis-Abeba et de la production d’électricité, l’unité contribue à la protection de l’environnement en éliminant l’émission de 46.500 tonnes de gaz méthane et en évitant la libération de 1,2 million de tonnes de dioxyde de carbone par an.

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En plus, l’installation écologique, conforme aux normes européennes d’émission de gaz, va permettre la fabrication de 3 millions de briques à partir des cendres résiduelles et la récupération de 30 millions de litres d'eau des déchets.

Pour sa part, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a souligné que l'unité d'Addis-Abeba «adopte une technologie de traitement des gaz de combustion moderne pour réduire considérablement la libération de métaux lourds et de toxines produites par le brûlage».

Cette méthode peut être adoptée par la Commune urbaine de Casablanca à la recherche d’une solution aux déchets qui s’accumulent au niveau de la décharge de Médiouna et ceux collectés annuellement au niveau de la région. En 2017, la ville de Casablanca a produit environ 1,4 million de tonnes de déchets ménagers et assimilés, soit environ 3.840 tonnes par jour, pour une population estimée à 3,4 millions d’habitants.

La composition des déchets de Médiouna se prête à merveille à l’incinération. Celles-ci sont composées de fermentescibles (55%), de papiers et cartons (14%), du plastique 10%), des gravats (6%), des métaux (4%), du verre (4%), etc. Il faudra tenir compte de certaines spécificités liées aux faits que les ordures de Casablanca sont humides et nécessitent, en conséquence, des brûleurs avec des déchets à forte valeur calorifique.

Avec une unité ayant une capacité de traitement 3 fois plus importante que celle d’Addis-Abeba, la Communauté urbaine de Casablanca pourra incinérer quotidiennement les déchets de la capitale économique, tout en réduisant le stock de déchets entassé au niveau du site de Médiouna. Elle produira par la même occasion d’importantes quantités d’électricité qui seront injectées dans le circuit électrique national et générer des revenus pour la Commune tout en accélérant le retour sur investissement.

Les effets bénéfiques de cette solution sont multiples. D’abord, elle contribue à l’élimination des déchets. Ensuite, l’électricité verte produite grâce à la biomasse, vendue au distributeur local, permet d’atténuer les charges de gestion de la décharge tout en procurant de l’énergie verte. Par ailleurs, au niveau environnemental, les retombées sont indéniables. En effet, la destruction des déchets contribue à la protection de l’environnement écologique des riverains de la décharge et à la protection des nappes souterraines de toute contamination due aux fuites de lixiviats chargées en polluants et substances toxiques (métaux lourds, polluants organiques et chimiques, radionucléides, etc.) qui sont des sources de pollution des sols et des eaux, y compris souterraines.

De même, elle élimine les émissions de méthane et de CO2 et atténue les émissions de gaz à effet de serre nuisible à l’atmosphère. En outre, avec une grande unité d’incinération, la Commune urbaine pourra libérer les espaces de décharge sachant que celle de Médiouna s’étend sur 70 hectares. Enfin, cette solution contribue à réduire les risques d’éboulements au niveau de la décharge et donc d’éventuelles pertes en vies humaines.

Seulement, les opposants à l’incinération, tout en jugeant qu’on ne peut continuer à enfouir les déchets, avancent que l’investissement dans un incinérateur est coûteux et qu’en éliminant les déchets par combustion, cette technique libère aussi dans l’air des toxines et des métaux lourds.

Il est exact que l’incinération des déchets dégage des fumées composées de vapeur d’eau, de composés formées lors des réactions chimiques intervenant lors de la combustion (dioxines furannes) et d’éléments provenant des déchets eux mêmes (notamment les métaux lourds : arsenic, chrome, manganèse, mercure, plomb, nickel, etc.). Toutefois, avec les incinérateurs de nouvelles générations, les émissions de dioxines, des cendres, de métaux lourds et de gaz acides, sont tellement infinitésimales qu’elles sont considérées comme étant sans impact sur l’environnement. En plus, un tri préalables des déchets à incinéré réduit encore plus l’impact environnemental.

Reste à savoir si le Commune urbaine de Casablanca est décidée réellement à en finir avec les anciennes méthodes de gestion minimaliste des déchets… 

Par Moussa Diop
Le 14/10/2018 à 13h35