La loi interdit de fumer et de faire la publicité du tabac dans les lieux publics. Adoptée en 1991, elle est promulguée en 1995. Dernières amendes fixées en 2008: 100 dirhams pour fumer dans un lieu public, 200 dirhams en cas de récidive, 500 dirhams si le gérant laisse faire. Loi rendue applicable depuis… depuis… iwa, déééésolée, depuis jamais.
Fumer. Un plaisir pour celui qui tient la cigarette. Mais ce même geste, à quelques centimètres de là, devient une agression: le fumeur tire du plaisir, le non-fumeur tire une quinte de toux.
Depuis quand le bonheur de l’un est-il un droit d’écraser le bien-être de l’autre? C’est ça, la vraie définition de l’incivilité: quand ton plaisir devient un préjudice pour l’autre. C’est aussi la définition de l’injustice.
Tu veux faire une pause dans un café? Tu te prends de la nicotine en plein g… Le serveur slalome entre les tables, avec son plateau comme s’il naviguait dans un brouillard. Les clients allument, rallument, soufflent en plein visage. Et toi, non-fumeur, tu deviens le gêneur. Tu tousses, tu recules ta chaise, tu te déplaces, tu agites la main devant ton nez. Wa-lou! La fumée te persécute. Si tu oses dire: «Excusez-moi, vous pourriez pas fumer ailleurs?», la réponse: «Si t’es pas content, change de café!» Chouf Akhouya, moi je veux bien changer de café, mais ils sont tous enfumés.
Tu rêves d’un dîner raffiné, nappes blanches et chandelles? Oudgouuule! Le restaurant chic, c’est le seul endroit où un cigare cohabite avec un carpaccio de saumon. L’assiette arrive, parfumée au citron. Le voisin ajoute sa touche personnelle: un nuage grisâtre à l’arôme de tabac froid. Et personne n’ose rappeler la loi, pas le serveur, pas le gérant, pas même l’affiche «INTERDIT DE FUMER» accrochée dans un coin.
Mon arrogance m’a poussée à protester face au gérant d’un grand restaurant: «Ce n’est pas à moi de faire la loi!» Oui, il a raison. Une loi sans contrôle et sans application de sanction n’est pas une loi à respecter.
Résultat: arrivée fraiche et parfumée, je ressors puante par les cheveux, les habits imprégnés, mes bronches attaquées.
Et les gares! De grands panneaux «INTERDIT DE FUMER», en rouge vif, bien visibles. Juste dessous, un type allume tranquillement sa cigarette. Tu crois qu’un agent va intervenir? Non. Le panneau est là comme une œuvre d’art contemporaine, à contempler. Les non-fumeurs jouent aux ninjas, esquivant les volutes tout en tirant leurs valises.
Même dans certaines administrations, derrière le guichet, le fonctionnaire, clope au bec, tapote sur son clavier. Tu demandes un document, tu repars avec un léger voile de fumée. Dans les lieux de commerce, on te souffle sur le nez avec un naturel déconcertant. Encore plus scandaleux: des chauffeurs de taxis.
Tu es un non-fumeur? Alors tu es une anomalie biologique, un trouble-fête, un égoïste. Tu oses réclamer ton droit à respirer? Tu es l’agresseur. Le fumeur devient philosophe: «Wah! C’est juste une cigarette, pourquoi tu dramatises?» Comprendre: «C’est juste un peu de poison, respire tranquille.» Les médecins l’appellent «tabagisme passif». Tu ne fumes pas mais tu te bousilles les poumons.
Tu es chez des amis. B’khour, fumigation, garanti. Yallah, ose protester. Tu passes pour le rabat-joie, le snob, l’arrogant. «Waaa khti, malek, laisse-nous passer une belle soirée âfake.» Ici, la liberté, c’est la liberté… d’asphyxier ton voisin.
Alors résumons-nous: nous avons une loi anti-tabac. Une vraie, votée, tamponnée, publiée au Journal officiel depuis… 1995. Elle prévoit des amendes, des sanctions, des inspecteurs. Nous ne sommes pas arrivés à l’appliquer en 30 ans.
Et voilà que débarque le vapoteur nouvelle génération. Celui qui se croit plus chic, plus clean que le fumeur. Il ne fume pas, il «vapote». Résultat: ton café préféré se transforme en hammam, parfumé avec des effluves chimiques de fraise ou de mangue qui t’agressent les narines.
Cependant, certains cafés et restaurants, très rares, interdisent l’enfumage des non-fumeurs.
Alors que faire? Se transformer en shérif de l’air pur? Rappeler la loi à chaque inconnu? Se battre dans chaque lieu pour sauver ses bronches?
Jouer les policiers bénévoles, interpeller chaque fumeur, risquer une engueulade ou une agression? Non merci. Ce n’est pas à moi de faire respecter la loi, c’est à l’État. Et si l’État ne le fait pas, alors il devient complice. Il ne protège pas ses citoyens, il les expose. Ses lois partent… en fumée.
L’industrie du tabac engrange des milliards, mais provoque maladies graves et décès, pris en charge par les contribuables: une double peine pour les citoyens. L’État impose des taxes, mais insuffisantes vu l’ampleur du problème, mondial mais bien présent au Maroc.
Récemment, une nouvelle proposition de loi au parlement: 500 à 1.000 dirhams pour le fumeur, 5.000 dirhams en récidive, jusqu’à 10.000 dirhams pour publicité ou incitation de mineurs.
Espérons que cette proposition sera validée et surtout, surtout, surtout… appliquée, sans laxisme. Car le laxisme alimente les incivilités dont on parle tant en ce moment!






