Les ruraux, filles et garçons, rêvent de quitter la campagne. Cette population connectée refuse de vivre dans un environnement hostile selon sa perception. Pour eux, la ville offre une qualité de vie et un confort inexistants au rural. Internet leur permet de comparer leur vie précaire avec l’idéal véhiculé par les réseaux sociaux. Les films auxquels ils ont accès grâce au piratage de chaînes internationales nourrissent leurs rêves et augmentent leur frustration.
Le Maroc a enregistré un grand retard dans les infrastructures de base en milieu rural. Si l’électricité est quasi généralisée, l’eau courante, les routes, les hôpitaux, les loisirs… font défaut. Les établissements scolaires sont en deçà des besoins. L’État essaye de parer à ces faiblesses avec d’immenses chantiers. Mais la frustration des jeunes est toujours présente.
Les parents ruraux souhaitent scolariser leurs enfants, y compris leurs filles. Ils savent qu’il n’y a que l’école pour les sauver de la misère.
Mais ces rêves ne sont pas toujours réalisables. Alors que l’État généralise le préscolaire, les établissements secondaires ne sont pas toujours à proximité des habitations. L’habitat rural est très dispersé: 33.000 douars, éloignés les uns des autres. Impossible de les équiper tous.
Le séisme d’Al Haouz a révélé aux Marocains qui ne connaissent pas la campagne l’étendue de la précarité rurale.
L’éloignement des lycées a contribué à la déperdition scolaire à partir de la fin du primaire. Les parents arrêtent la scolarité de leurs enfants par manque de moyens pour les installer dans les villages ou les villes. Les fillettes rurales en sont les premières victimes car on craint pour leur sécurité.
Les familles ayant un peu de moyens envoient leurs garçons chez des membres de leur famille citadins, eux-mêmes précaires, mais assez solidaires pour partager le peu qu’ils ont et vivre entassés dans des petits espaces.
Certains parents louent une chambre ou un espace dans une chambre chez une famille. Une solution sécurisante car cette famille surveille les enfants et leur garantit le minimum vital.
Dans les quartiers populaires, plusieurs enfants louent des locaux de commerce, en rez-de-chaussée d’immeubles. 3, 4 ou 5 garçons de plus de 12 ans y vivent, sans toilettes, ni eau, ni électricité, protégés par un rideau métallique. Une petite bonbonne de gaz pour cuisiner.
Les ruraux qui ont réussi à être diplômés ont un grand mérite par rapport aux citadins.
Les plus chanceux intègrent les rares pensionnats des établissements publics secondaires, munis d’une bourse de l’État.
Encore plus chanceux sont celles qui intègrent Dar Taliba et ceux qui intègrent Dar Talibe (Maison de l’étudiante et Maison de l’étudiant), pensionnats qui accueillent les ruraux la semaine. Ils se rendent dans les collèges et lycées et reviennent se nourrir et dormir dans ces pensionnats. Les weekends, ils retournent chez eux si leurs familles n’habitent pas trop loin.
Ces pensionnats ont été initiés par la Fondation Mohammed V pour la solidarité, qui construit les locaux et en concède la gestion aux associations. Des moyens de transport dans de nombreuses régions, gratuits ou moyennant à peu près 100 DH par mois.
Le taux de déperdition scolaire a considérablement chuté grâce à ces pensionnats et le niveau de réussite a augmenté.
Les critères de sélection sont la pauvreté et un bon livret scolaire.
Dar Taliba a permis à des milliers de filles rurales d’être diplômées: médecins, ingénieures, agentes d’autorité et surtout enseignantes. Mais beaucoup sont refusées par manque de place. Leurs rêves de réussite s’écroulent.
Les frais sont à peu près 500 DH par trimestre, somme que de nombreux parents sont incapables de payer.
Malgré tous les efforts de l’État, les budgets sont loin de garantir le confort minimum aux bénéficiaires. Les associations qui gèrent peinent à collecter les fonds nécessaires: locaux délabrés, faiblesse des équipements, manque de produits d’hygiène pour les locaux et pour les bénéficiaires, difficultés à assurer une alimentation quotidienne de qualité…
Ces structures n’offrent souvent que le gîte et le couvert, excluant toute autre activité indispensable à l’épanouissement des élèves: activités sportives, culturelles, artistiques, bibliothèque, télévision pour être branchés au monde et surtout absence quasi générale de formation et de matériel informatique.
La pandémie du Covid a fait prendre conscience de la fracture numérique dans notre pays et on ne peut concevoir Dar Taliba et Dar Talibe sans ordinateurs connectés.
Ces structures méritent d’être soutenues car elles sauvent des milliers de jeunes rurales et ruraux.
Les aides peuvent être sous forme de don en argent, alimentation, habillement, équipement informatique, équipement de cuisine, produits hygiéniques (shampoing, savon, dentifrice…), linge (drap, oreillers, serviettes…), literie… Tous les dons sont les bienvenus car cette population manque de tout.
Il y a très rarement de l’eau chaude ou le chauffage dans les régions où les hivers sont froids. Dans beaucoup de structures, il n’y a que des tapis pour dormir.
Quant aux repas, ils sont plus que basiques, avec des difficultés de régularité.
Malgré cela, beaucoup de parents envoient leurs enfants dans ces pensionnats parce qu’ils savent qu’ils seront mieux nourris qu’à la maison et que cela fera une bouche à nourrir en moins.
En ce mois de la générosité, pensez à Dar Taliba et Dar Talibe. C’est une sadaka jarya, une aumône continue, puisqu’elle permet à des jeunes ruraux l’insertion socioprofessionnelle.