Boire l’eau de mer… Une fantaisie de l’homme? Pas si sûr, en 1400 av. J.-C. les navires de la Méditerranée et de la mer Rouge utilisaient déjà la distillation, sur des couches de tissus, pour obtenir de l’eau douce en haute mer. Les marins économisaient ainsi l’espace dans les cales.
À grande échelle, ils sont trois pays pionniers il y a 152 ans. En 1872, le Chili mit en service la première usine de dessalement (ou désalinisation) dans le monde, produisant 20.000 m³ d’eau douce/ jour. Elle fonctionnait à l’énergie solaire, permettant ainsi l’évaporation du sel de mer. L’Angleterre, qui n’a pas de problème de pluie, mais qui développait à ce moment-là sa flotte maritime impériale, construisit en 1884 la première usine mobile de dessalement pour navires, que ces derniers emportaient durant leurs voyages. Enfin, la Russie des tsars inaugura en 1898 son unité de dessalement fournissant 1230 m³ d’eau douce/jour.
Aujourd’hui, le dessalement marin est devenu une réalité pour toute l’humanité. Nous dessalons près de 80 millions de m³ d’eau par jour dans plus de 108 pays. Il existe plus de 20.000 usines de dessalement dans le monde pour fournir l’agriculture ou les villes humaines. Quelque 300 millions de personnes boivent désormais de l’eau qui provient du dessalement. De sorte, 8% de l’eau potable dans le monde est d’origine marine.
Parmi ces 108 pays, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, et en troisième position les États-Unis investissent le plus dans ce domaine. Mais la majorité des nations a recours à ce procédé, et parmi les plus dépendantes: Oman, l’Espagne, Chypre, Malte, Gibraltar, le Cap-Vert, le Portugal, la Grèce, l’Italie, l’Inde, la Chine, le Japon, Israël ou l’Australie.
L’Espagne est le premier producteur d’eau dessalée en Europe, et occupe le quatrième rang mondial. Elle construisit sa première usine de dessalement dans les îles Canaries en 1964. Deux tiers des habitants de cet archipel consomment de l’eau de mer dessalée. La moitié des habitants des Baléares, archipel fréquenté chaque année par près de 10 millions de touristes, fait de même. La plus importante usine de dessalement d’eau de mer européenne se trouve dans la banlieue sud de Barcelone, sa capacité quotidienne est de 200.000 m³ d’eau potable. Sur 100 litres d’eau de mer, 45 litres peuvent être transformés en eau douce potable. Cette usine de dessalement alimente en eau 20% de la population de Barcelone et de son agglomération, où vivent 4,5 millions de personnes. De nos jours, plus de 900 usines en Espagne produisent environ 1,8 million de m³ d’eau dessalée par jour, suffisamment pour approvisionner quotidiennement environ 9 millions d’habitants, soit un cinquième de la population espagnole (48 millions d’habitants).
Gibraltar, en face de Tanger, avec ses 33.000 habitants, vit entièrement grâce à l’eau de mer dessalée.
La France, dont quelques rares régions connaissent des pénuries d’eau (île de Sein, Corse, Morbihan) ne possède que 20 usines de dessalement d’eau de mer.
Aux États-Unis, environ 200 usines de dessalement sont aujourd’hui en activité, la plupart étant situées en Californie, en Floride et au Texas.
Dans les pays du Golfe: Arabie saoudite, Koweït, Irak, Bahreïn, Oman, Qatar, Émirats arabes unis, la consommation peut concerner jusqu’à 90% de la population. Au Qatar, une immense usine appelée Umm Al Hou produit chaque jour l’eau potable couvrant les besoins de 47% de la population du Qatar.
Et c’est aux Émirats arabes unis que se trouve la plus grande unité de dessalement du monde, l’usine Jebel Ali, fournissant chaque jour l’équivalent à la consommation de 13 millions de personnes.
Aux villes, il faut ajouter l’arrosage agricole et l’eau pour les jardins des demeures et les parcs publics.
Mais à tout cela, il y a un prix écologique. La désalinisation a un fort impact sur la nature. Lorsque les usines dessalent, elles ne fabriquent pas que de l’eau douce, mais génèrent aussi de très grandes quantités de saumure, à savoir de l’eau visqueuse avec de fortes concentrations de sel (1 litre d’eau douce = 1,5 litre de saumure), qui est ensuite rejetée dans les océans. Il s’agit, pour les océanologues, d’un déchet auquel sont associés des produits chimiques utilisés par les usines. Ces rejets vont modifier la salinité de la mer et faire muter localement les écosystèmes de la flore, des coraux et des poissons des pays. À long terme, un désastre pour la nature.
L’ONU a tiré la sonnette d’alarme en 2019, révélant que la production mondiale de saumure atteignait 141,5 millions de m³/jour. On s’attend à ce que des solutions soient mises en œuvre pour remédier au problème écologique. L’usine de Barcelone expérimente déjà l’une d’elles, consistant à traiter la saumure avant de la rejeter en mer. On peut espérer que d’autres techniques soient découvertes par l’homme, rapidement, à l’avenir.
La désalinisation semble actuellement l’option choisie par l’industrie pour remédier à la sécheresse dans le monde. Les chiffres sont alarmants: 1,5 milliard de personnes (1,8 milliard en 2025) sont privées d’accès à l’eau potable en raison d’un manque d’investissements en matière d’infrastructures. Risques de plus de misère, de migrations forcées, de famines. C’est pour quoi, selon les experts, par la force des choses, une large majorité des sociétés du monde boira bientôt exclusivement de l’eau de mer transformée. On pronostique aussi que le procédé de dessalement devra être adopté définitivement pour l’homme. Mais il donnera lieu à plusieurs technologies de plus en plus fines, de plus en plus légères, jusqu’à l’appareil personnel, presque de poche, qui pourrait être utilisé à des fins individuelles. Il n’y a pas de limite à la science et à la technologie.
Aussi, bien des chercheurs et même des écologistes sont optimistes. Ils considèrent l’invention du dessalement moderne comme majeure pour l’histoire de l’humanité, et le procédé n’en est qu’à ses débuts. Une fois maitrisé et largement répandu sur terre, le dessalement risque bien dans quelques décennies de transformer profondément l’environnement de l’être humain. En paradis vert, rêvent les plus romantiques…