Démolition du «Kremlin» de Bouskoura: un tournant dans la lutte contre les dérives urbanistiques

Une vue du premier bâtiment démoli du complexe Dar Diafa, surnommé le "Kremlin" de Bouskoura.

La démolition du «Kremlin» de Bouskoura ne se résume pas à un spectaculaire ballet de pelleteuses réduisant en gravats un édifice de 15.000 m². Elle symbolise un changement de cap dans la lutte contre les constructions illégales au Maroc et relance le débat sur la capacité de l’État à imposer la loi face aux dérives urbanistiques. Décryptage.

Le 17/11/2025 à 11h31

La démolition spectaculaire du complexe Kasr Diafa, surnommé le «Kremlin» de Bouskoura, a suscité une vague de réactions et un fort émoi sur les réseaux sociaux. Très vite, le promoteur du projet et son avocat ont dénoncé une opération «précipitée» et un supposé «abus de pouvoir» visant un projet présenté comme «touristique» mobilisant, selon eux, un investissement de 160 millions de dirhams et la création annoncée de plus de 200 emplois. Relayé et amplifié par certains médias, ce récit a nourri une opinion publique parfois critique à l’égard de l’intervention des autorités. Pourtant, plusieurs faits importants viennent nuancer cette version et dessiner une toute autre réalité.

Pourquoi la démolition a-t-elle été suspendue?

Lors d’une visite sur les lieux dimanche 16 novembre, Le360 a constaté que seul l’un des deux bâtiments composant cet édifice de 15.000 m² avait été démoli, tandis que le second, situé côté route de Médiouna, demeurait intact. Cette interruption ne traduit aucun changement de position des autorités. «La démolition totale nécessite des moyens techniques importants et des précautions liées à la configuration du chantier. Un délai de quelques jours a été accordé au propriétaire pour mener la démolition à son terme. À défaut, les autorités reprendront l’opération», nous confie une source proche du dossier. Cette précision bat en brèche l’idée selon laquelle la suspension serait liée à un doute sur la légalité de la procédure.

À l’heure où nous publions ces lignes, nous apprenons d’ailleurs que les bulldozers ont repris leur travail ce lundi matin, sous la supervision directe des autorités locales.

Comme nous le révélions dans un précédent article, l’autorisation initiale accordée cela fait cinq ans au promoteur ne portait que sur un simple gîte rural et des installations équestres. Le projet aurait ensuite dérivé vers un complexe hôtelier incluant de grandes salles de fête, en contradiction avec le Plan d’aménagement, puisque le terrain est situé en zone agricole, où ce type de construction est interdit.

Selon nos informations, le promoteur aurait déposé deux demandes de dérogation, en 2021 puis en 2024, afin de requalifier le projet en activité touristique. Dans les deux cas, le Centre régional d’investissement (CRI) aurait opposé un refus. «Les dérogations se demandent avant de construire, pas lorsque le projet est déjà achevé», souligne ce membre de la commission régionale unifiée d’investissement (CRUI).

Entre-temps, les autorités ont retiré le permis en 2022, accordant un délai de trois ans pour démolir. Mais malgré plusieurs mises en demeure et ordres de démolition, les travaux se sont poursuivis, donnant l’impression que le promoteur entendait placer les autorités devant le fait accompli.

Pourquoi les autorités ne sont-elles pas intervenues plus tôt?

Certains s’étonnent de voir les autorités intervenir après cinq années de travaux. Notre source affirme que l’avancement du projet ne confère aucun droit à sa régularisation. «Si quelqu’un vole de l’argent pendant trois ans, il ne peut reprocher aux autorités de ne pas l’avoir arrêté plus tôt. La reddition des comptes peut intervenir à tout moment», affirme-t-elle, citant le précédant de la villa des Lions à Salé, longtemps considérée comme intouchable avant d’être finalement démolie.

Fait notable, cette affaire survient quatre mois après la révocation de l’ancien président de la commune de Bouskoura, soupçonné d’irrégularités dans la délivrance des autorisations d’urbanisme et dans la gestion des recettes fiscales.

Notons au passage que le pacha de Bouskoura a été suspendu vendredi dernier, suscitant rumeurs et interprétations. Le360 apprend qu’il «a été replié au siège de la province, sans mission, et ce dans le cadre d’une enquête administrative portant sur plusieurs dossiers urbanistiques, et non exclusivement sur Kasr Diafa».

Le cas du «Kremlin» de Bouskoura s’inscrit dans une politique plus ferme contre le désordre urbanistique dans la province de Nouaceur, longtemps perçue comme un eldorado de constructions illégales. Plus de 550 entrepôts, hangars et bâtiments non conformes auraient déjà été démolis ces derniers mois. «Il n’y a ni passe-droit ni traitement préférentiel. Chacun son tour», assure notre source.

Cette affaire illustre bien que «les temps ont changé» et marque une étape majeure dans la gouvernance de l’urbanisme au Maroc. Elle met fin à un modèle basé sur les passe-droits, l’influence et les dérogations de complaisance.

Ce dossier rappelle aussi que l’investissement responsable repose sur la transparence, le respect des plans d’aménagement et la conformité juridique. La protection du foncier agricole apparaît également comme une priorité.

Enfin, cette affaire constitue un test grandeur nature de la capacité de l’Etat à imposer la primauté du droit, à affirmer que nul n’est au-dessus de la loi et que le développement territorial ne peut se concevoir en dehors des règles. La province de Nouaceur marque ainsi un tournant dans la défense de l’État de droit urbanistique au Maroc.

Par Wadie El Mouden
Le 17/11/2025 à 11h31