Darija et enseignement, à quelle langue se vouer ?

SondageEnseigner en Darija ? Le nouveau débat qui fait fureur. La Darija ? Quelle Darija ? Le face-à-face, ce soir sur 2M, entre Noureddine Ayouch et Abdellah Laroui s'annonce passionnant.

Le 27/11/2013 à 19h59

Enseignement : Etes vous pour ou contre l'introduction de la Darija dans le préscolaire?

oui

38%

non

62%

Cela fait soixante ans que la question de la langue fait débat au Maroc, sans que l’on parvienne à régler la question. Bien au contraire, plutôt que d’aller vers des décisions réfléchies et un consensus autour de cette question, la polémique se fait plus vive que jamais avec la proposition récemment émise d’opter pour la langue dialectale comme langue d'apprentissage dans le préscolaire. Les questions de la langue d’apprentissage et la place de la darija dans les curricula scolaires ont ainsi été abordées lors du colloque dernièrement organisé par la Fondation Zakoura. Si certains voient ce débat comme un débat pédagogique nécessaire, d’autres y voient un pur discours idéologique qui n’a pas lieu d’être dans un contexte pluriel comme celui du Maroc.Le président de la Fondation Zakoura et du Collectif "Pour une meilleure éducation de nos enfants", Noureddine Ayouch, a été à l’origine de ce débat qui l’a opposé à Abdelilah Benkirane, fervent défenseur de la langue arabe, langue du Coran. Les sorties de Ayouch dans les médias ont suscité une vague de réactions. Dans une interview fleuve sur Al Ahdath Al Maghribiya, datée du 19 novembre, l'historien Abdellah Laroui prend la parole -après un long silence- pour lui répondre et exprimer son désaccord quant à l'introduction de la darija dans l'enseignement.

De quelle "Darija" parle-t-on ?Le problème devrait être posé en terme d’historicité et de perspectives. Les langues vernaculaires, langues familiales, sont apprises à la maison et intégrées par les enfants dès leur plus jeune âge. De plus, ces langues sont multiples, et parler de langue dialectale comme langue d’enseignement revient donc à dire que chaque région aurait sa propre langue dialectale d’enseignement. Par ailleurs, "dialectal" ne signifie-t-il pas "oral" ? A quels livres auront donc accès les élèves ? Expliquer en dialectal est une chose. Priver les enfants de langues aptes à leur permettre l’accès au savoir parce que les questions idéologiques et identitaires associées à la problématique linguistique empêchent toute réforme réfléchie en est une autre.

Des années de combat mené par des intellectuels pour que, finalement, la langue française soit toujours considérée comme "la langue du colon" lorsque plusieurs générations ont été scolarisées dans cette langue, que les enfants des familles les plus nanties continuent aujourd’hui dans cette voie, et que le Maroc dispose d’un riche patrimoine littéraire francophone apparemment voué à n’être apprécié qu’ailleurs, en Europe ou Etats-Unis. Des années de réflexion et de tentatives de réforme pour que l’arabisation, à défaut de correspondre à une réalité linguistique locale, trouve sa légitimité dans la religion.

Que de confusion. La darija n’est-elle pas une sorte de créole, au fond ? A partir de ce constat, nous pouvons nous pencher sur d’autres contextes similaires où ces questions ne semblent pourtant pas poser problème. Aux Antilles, par exemple, les populations parlent créole, ont fait de leurs dialectes une richesse qui est venue insuffler à leur littérature, francophone, une force, une musicalité et un imaginaire fulgurants, sans que, pour autant, ces populations dont les mémoires coloniales sont infiniment plus douloureuses en soient à nier leur historicité pour créer la débâcle sur le plan culturel. Au contraire, les Antilles ont fait de cette historicité une force au service de leur mémoire, de leur dignité, de leur avenir.Autre exemple : celui des pays pluriethniques où circulent divers dialectes. L’Inde, par exemple, qui a gardé l’anglais comme langue véhiculaire. Le Sénégal, qui a gardé, de son côté, le français comme langue d’enseignement. Alors, au Maroc, pays plurilingue, pluriethnique, aux croisées des continents et des cultures, à quoi rime un tel débat ? De quelle "darija" parle-t-on vu qu’il n’y a pas une darija mais des langues dialectales. Vu, aussi, qu’il y a divers idiomes berbères. Des générations ont étudié en arabe et en français ou, pour le nord, en espagnol. Des générations qui continuent de nous épater par leur savoir, leur culture et leur ouverture d’esprit lorsque force est de constater que beaucoup de jeunes, aujourd’hui, ne savent plus à quel saint se vouer et ne se sentent à l’aise ni en français ni en arabe. Les langues sont des outils. Les intellectuels marocains se sont battus pour en faire des outils-force et les dépouiller de leur teneur idéologique en se les appropriant. Force est de constater que tous les efforts en la matière sont régulièrement allègrement anéantis.

Par Bouthaina Azami
Le 27/11/2013 à 19h59